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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/61

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précaution la porte. Sans doute n’aperçut-elle rien d’insolite, car elle n’hésita pas à sortir. Je montai et entrouvris à mon tour. Elle avait étendu de grands draps sur la corde à linge, devant la cabine même et jusqu’à la proue du bateau, ce qui lui permettait de s’éloigner sans être vue. Je revins me jeter sur les sacs, où je repris mon sommeil amoureusement interrompu.

Il était quatre heures quand je me réveillai. Je sortis, refermai la cabine et me dirigeai vers la Mère-Picarde en longeant le rideau des draps. Mais comme j’allais passer sur le bateau patronal je me flanquai dans Balthasar, qui dut s’écarter devant moi. Quelques pas et, sans m’arrêter, je tournai légèrement la tête. Je le vis planté au même endroit. Il paraissait suffoqué de ma présence, à pareille heure, sur la Ville-de-Nevers. Je sifflotai, suivant mon habitude, par un réflexe nerveux plutôt que par nargue, et sans plus regarder derrière moi je descendis à mon bureau, où me retint jusqu’au dîner la mise à jour des écritures. Mon oncle allait être de retour le lendemain matin.

Il rentra, la mine plus jaune et plissée que jamais. Il rapportait une mauvaise impression du procès qui l’avait retenu dix-huit jours à Nevers. Et notre monotone vie reprit son cours normal. Nos repas étaient servis, selon le temps, dans la cabine ou sur le pont de la Mère-Picarde, mais plats et assiettes nous étaient apportés par le mousse, et pas une seule fois Maria ne se fit voir. Cependant, certain midi, alors que mon oncle donnait un ordre, elle traversa le pont et, passant auprès de moi, murmura : « Méfiez-vous, il vous piège ! » sans s’arrêter ni me regarder. Il me piégeait, en effet. Levant la tête, je le vis qui, debout sur un tas de palplanches, louchait du côté de la Mère-Picarde. Maria repassa, et j’osai défier cette insolente surveillance en glissant sous sa jupe une main preste, qui s’égara jusqu’à l’entrecuisse. Balthasar, toujours louchant par ici, ne s’aperçut de rien.

M. Boulard avait été enchanté de moi et vint le dire à « son cher ami Pouchin », en nous invitant tous deux à déjeuner pour le jour suivant. Déjeuner dînatoire, car