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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/62

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nous ne quittâmes la table qu’à cinq heures, bien que mon oncle mangeât du bout des dents et se contentât d’eau rougie. Je bus et mangeai pour notre double compte, gavé et arrosé par le marchand de bois, sa femme, son fils, voire par la petite servante, qui n’admettaient pas que fussent vides mon assiette ni mon verre. J’éclatais quand on eut fini. Mais je n’étais pas rouge que de vin, et quelque chose d’autre avait fait monter la rougeur à mon jeune visage : Mme Boulard, durant le repas, n’avait cessé de jouer contre moi d’un genou que je devinais maigre, et même, à un moment donné, sa jambe droite chevauchant ma gauche, je ne m’étais dégagé qu’en reculant ma chaise, au risque de tout découvrir. Cela n’avait pas été sans me faire perdre contenance, et je n’osais plus regarder cette entreprenante dame, dont le décolletage outré n’étalait que de désolantes ruines.

Je n’en étais pas quitte avec ses manigances. Le dernier petit verre bu, nous allâmes au bureau de M. Boulard, où je fus prié de faire un relevé de comptes pour mon oncle. Les livres du marchand de bois étaient tenus par sa femme, et j’appris alors que le digne homme ne savait ni lire ni écrire, ce qui ne l’empêchait pas d’être fort adroit dans son commerce. Je fis le relevé, et très rapidement. On me permettra de noter, à ce propos, que j’exécutais les écritures commerciales avec une habileté remarquable. Mon père se plaisait à le dire, et déjà l’oncle Pouchin en avait eu la preuve. J’étonnai Mme Boulard en transcrivant d’une plume impeccable, en moins d’une demi-heure, ce qui, déclara-t-elle, lui eût pris tout un après-midi. On me combla de compliments. Mme Boulard y ajouta — mon oncle et M. Boulard s’étant rendus au chantier, et le petit Boulard ayant regagné l’École professionnelle — de significatives flexions de ventre contre mon dos, sous prétexte de me dicter des chiffres. Après quoi, s’étant assise, elle égara sa main du côté de ma braguette. Je me jetai en arrière, mais elle tint bon, insistant une exploration telle, que je dus me lever pour en finir. Je fus bien aise de voir M. Boulard et mon oncle reparaître. Pour elle, loin de manifester le moindre embarras, elle se reprit à