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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/65

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tomba. Elle se raidit, arquée, toute blême, les yeux fous, dents serrées et lèvres froides. Je la tenais enfin, la garce ! Dans ce réduit, j’étais à l’abri des curieux, et tout debout, forçant la clôture des jambes, relevant cotte et chemise, je me dépêchais vers l’huis tant convoité, quand un craquement du plancher me mit en alerte. Malheur ! Balthasar, blanc comme linge, était dressé devant moi !

Ce fut prompt. Je lâchai la femme et fis face à l’homme. Je me reboutonnais d’une main fébrile. Cloué sur place, il regardait. Il roulait ses poings noueux, ses longs bras étant secoués de tremblements.

— Sale merdeux ! gueula-t-il. Ça ne se passera pas comme ça ! Blanc-bec de propre à rien de merdeux !

Je m’avançai sur lui. Je le dominais de la tête. « Je me fous de vous ! » Et du plat de la main je le fis reculer.

— Je vous dis que ça ne se passera pas comme ça ! reprit-il en revenant contre moi, bavant de rage dans sa barbe en broussaille. Je vas vous apprendre les manières, merdeux de saligaud que vous êtes !

Nous étions les yeux dans les yeux, à présent. Je n’eus plus qu’un mot, qui éclata, brutal :

— Cocu !

Il me saisit au col, secoua, tordit ma chemise et ma cravate, avec une extrême violence. « Cocu ! cocu ! » répétai-je. À mon tour je le colletais, faisant appel à toute ma vigueur. De nos trois bateaux les mariniers accouraient. D’autres se pressaient sur la rive. Les cris se mêlaient aux éclats de rire et aux lazzis. J’entendais : « Séparez-les ! Séparez-les ! Hardi, le jeune gars ! Tiens bon, Fargèze ! » Comment sortirais-je de là ? Certes, j’étais fort comme Hercule, mais je n’avais pas appris à déployer ma force. J’ignorais la lutte et ses traîtrises. Balthasar me renversa, et mon dos sonna durement sur le pont. J’étais battu. Bouche à bouche il me cracha les pires injures, tout en me serrant la gorge, à m’étrangler, si bien que je pensai perdre souffle. Mais sa victoire allait être courte. J’eus une réaction musculaire désespérée qui desserra son étreinte, et d’une irrésistible tension je le repoussai, le tins un moment à distance, puis d’un coup brusque le