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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/66

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rejetai sur le flanc. Aussitôt, sautant sur mes pieds, je me penchai sur lui, l’empoignai solidement à la ceinture. Il haletait. En vain voulut-il se dégager en pivotant sur son lourd torse. Alors, le bras raidi pour un effort véritablement herculéen, je le soulevai comme il m’était arrivé de faire d’un sac de farine, et d’un balancement rapide je le lançai à l’eau.

Quelle scène ! Clameurs, tumulte, et Maria piquant une attaque de nerfs, et mon oncle revenant juste à point pour assister à la baignade ! Balthasar barbotait, empêtré dans ses vêtements, mais on lui tendit une gaule à laquelle il s’accrocha, ce qui permit de l’amener à la barque de l’Avalanche, d’où il se hissa sur la péniche. Il se secoua. Il sanglotait. Pour moi, bien que l’épilogue de l’aventure eût de quoi me satisfaire, j’avais une attitude penaude qui n’était pas d’un vainqueur. Je passai sur la Mère-Picarde et descendis au bureau, où bientôt me rejoignit mon oncle. Il me toucha l’épaule, me regarda gravement.

— Tu me mets dans un fameux embarras, mon garçon, me dit-il d’une voix douce et lasse. Comment vais-je arranger cette affaire ?

Je ne trouvai rien à lui répondre. Accoudé sur la table, je me mis à pleurer comme un enfant.

Il me laissa et remonta sur le pont. Je relevai la tête. J’étais dans un profond accablement et j’aurais donné beaucoup pour racheter le scandale dont j’étais cause. Venant à la vitre du hublot, je vis mon oncle assis dans un coin, méditatif et triste. Mais j’eus en même temps un autre spectacle : Balthasar, vêtu d’une blouse et d’un pantalon d’emprunt, quittait le bateau, suivi de Maria, et les mariniers silencieux le regardaient s’en aller. Eh quoi ? Mon oncle le laissait-il donc partir ? Pouvais-je admettre qu’il me sacrifiât cet homme qui travaillait pour lui depuis des années, avec un dévouement canin dont il avait cent fois donné des preuves ? Non, non ! Je montai l’escalier, et je me disposai à interrompre la méditation de mon oncle pour le prier de rappeler ce pauvre Nom-de-Dieu, quand apparut M. Boulard. Il venait d’apprendre ma