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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/68

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promesse de passer chez lui le lendemain matin. Je m’attendais à discuter de cette affaire avec mon oncle, mais la journée s’acheva sans qu’il y fît allusion. Le lendemain — après quelle nuit d’insomnie ! — je frappai dès cinq heures à la porte de sa cabine, qui était sur la Mère-Picarde. « Décide ce que tu voudras, me dit-il. Je n’ai pas à te forcer la main. » Je lui répondis que ma résolution était prise, et il ne m’en demanda pas plus, comprenant bien ce que cela signifiait. Je le remerciai, je l’embrassai avec un élan d’affection qui le toucha visiblement.

Je fis toilette et à huit heures je sonnais chez les Boulard. La petite bonne — elle se prénommait Germaine — vola jusqu’à moi. « C’est vrai que vous allez venir vous occuper ici ? » me demanda-t-elle, tout enjouée. Le jeune Boulard accourait, battant des mains. Le couple Boulard s’avançait à la suite. Bref, on m’accueillit à bras ouverts. Du vin blanc fut versé, et l’on discuta.

Je tenais à ma liberté. Je refusai poliment le lit et la table, et l’entente se fit sur ces bases : je recevrais soixante-dix francs, et mon linge serait blanchi. M. Boulard me recommanderait à une petite pension bourgeoise où, pour cinquante-cinq francs par mois, chambre comprise, on était aussi bien traité que dans les hôtels de voyageurs. J’entrerais en fonction dès le lendemain.

— Il vous restera quinze francs pour faire le jeune homme, souligna M. Boulard en clignant de l’œil.

On vida la bouteille, on me conduisit chez mes logeurs, qui étaient de vieilles gens, M. et Mme Dumesnil. Maison de bonne apparence et chambre presque luxueuse. Les derniers arrangements furent pris et à dix heures je pouvais annoncer à mon oncle que c’était chose faite et que le soir même je coucherais en ville. Il approuva tout. Peu après je vis arriver Balthasar en ses vêtements de dimanche. Il ne savait rien et venait pour le règlement de son compte. Mon oncle s’empressa vers lui, le fit descendre dans son bureau, où ils s’enfermèrent. J’ai su, depuis, que le rusé marinier s’était fait prier pour reprendre son service, prétextant qu’on l’avait rendu ridicule aux yeux de l’équipage. Il n’avait pas fallu moins qu’une augmen-