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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/69

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tation de deux cents francs par an pour vaincre sa résistance. À la vérité, l’annonce de mon départ le remplissait d’aise, et je le lus sur son visage quand il s’en retourna, pour revenir une heure plus tard en vêtements de travail, mais sans être accompagné de la Berrichonne, qui arriva par la suite avec une pile de paquets. C’était le déménagement du couple et, sifflet aux lèvres, je commençai de préparer le mien, ce qui me fit tuer le temps jusqu’à midi. Mon après-déjeuner fut occupé par des écritures, commerciales et personnelles. J’écrivis deux lettres pour Saint-Brice, l’une à mes parents, que j’informais de mon entrée chez M. Boulard, en l’expliquant par un désir de mieux faire, l’autre à l’ami Morizot, qui venait, en une longue épître, de me narrer les dernières nouvelles galantes du pays amplifiées par sa hâblerie romanesque. Puis, avant le dîner, j’aidai le mousse à charger sur une brouette et à rouler mon petit bagage à la pension Dumesnil.

Les bateaux devaient partir le lendemain matin, sur le coup d’onze heures. Maria n’avait cessé de faire la navette entre le faubourg et les péniches. Elle emménageait dans une cabine de la Ville-de-Nevers, la cabine même où, sur des sacs vides, je l’avais une dernière fois possédée. Je la croisai à plusieurs reprises, mais elle ne me favorisa même pas d’un regard.

J’allai coucher dans mon nouveau lit, un vrai lit de jeune fille, avec des rideaux à fleurs. J’y dormis bien, mais je me levai tôt. Je me mis à la fenêtre, d’où l’on entrevoyait le port, au loin, et les faubourgs pelés. Soudain, j’aperçus Balthasar. Il se rendait aux bateaux, pipe au bec. Balthasar ! Donc, la Berrichonne devait être dans sa chambre, et seule. Bonne occasion d’avoir une explication finale avec elle. Je descendis, me dirigeai vers le point du faubourg où je savais être son auberge. Au fond d’une impasse empuantie d’immondices, des mariniers trinquaient dans un débit que désignait l’enseigne « Loge à la journée et à la nuit ». Ce devait être là. Un pisseux escalier de pierre arrivait jusqu’au seuil. Sur deux étages s’ouvraient les galetas. À quelle porte frapper ? Je ne me souciais pas de me renseigner auprès du logeur, mais, montant à tout