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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/96

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polluer le cher visage. Germaine était encore là. Elle me tendit une cuvette. Un flot jaillit, qui éclaboussa tout. Je retombai, je m’abattis, emporté dans la valse infernale de l’ivresse.

Quand je revins à moi, dans l’aigre puanteur de la chambre, le petit jour pointait aux vitres de la porte. Je me soulevai, hagard. Assise sur une chaise, Germaine sommeillait. Elle se réveilla, s’approcha du lit.

— Mon pauvre Félicien ! fit-elle avec une douceur triste, en me prenant la main.

J’éclatai en sanglots. Le sentiment de ma honte m’écrasait. Je me levai, baignai d’eau mon front lourd. Un muet merci — ma main dans la sienne — à la bonne fille, si simplement bonne, qui ne songeait pas à m’adresser le moindre reproche, et je m’esquivai. Anxieuse, Claire attendait mon retour. Elle fut effrayée de me voir si défait. Je lui dis qu’ayant immodérément bu, j’avais dû rester chez les Boulard. Elle me fit prendre un cordial. Je me glissai sous mes draps et m’anéantis dans le sommeil.

Je dormis jusqu’à neuf heures. J’étais reposé, mais non pas délivré du poids de ma honte, et je n’osais mesurer l’injure que j’avais faite à Hubertine, que ma dégradante conduite devait avoir dégoûtée de moi à tout jamais. Je partais à dix heures et demie. Il m’était impossible de la revoir afin d’implorer son pardon. Je ne pouvais non plus lui écrire. En vérité, je me faisais horreur.

La chair fut cependant plus forte que l’esprit, et j’accordai à Claire les amoureux adieux qu’elle implorait. Je possédai Hubertine à travers elle, avec des transports de passion qui ne m’égarèrent pas, car je versai des larmes en songeant à mes amours gâchées, des larmes que Claire crut versées pour elle et qu’avidement elle but. Je ne sortis de ses bras que pour sauter dans la diligence.

Elle me conduisit à Montargis. Là, j’en eus une autre qui faisait le service de Joigny, où pour la première fois je pris le chemin de fer. De Dijon à Saint-Brice, enfin, je roulai sous la bâche du courrier postal. Trente heures pour franchir une soixantaine de lieues ! J’arrivai harassé. Mon père et ma mère m’attendaient. L’accueil de ma mère