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Page:Fargèze - Mémoires amoureux, 1980.djvu/97

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fut tendre, mais celui de mon père me parut sévère. Je compris tout ce que ses lettres ne m’avaient pas dit, et combien il s’était senti mortifié par mon entrée chez Boulard. Mais nous n’étions pas à la maison qu’il avait abandonné cette sévérité de circonstance, assez peu dans son caractère. Chacun me jugeait changé à mon avantage, et ma mère elle-même, tout pâle de fatigue que je fusse, déclara que ces six mois m’avaient profité. Six mois seulement ! Ils me semblaient contenir un siècle. Je revoyais Saint-Brice avec des yeux qui n’étaient guère flatteurs. Comment avais-je pu si longtemps y vivre ?

Je fus à l’auberge Lureau, où je trouvai nombreuse compagnie. Morizot exagéra sa joie de me revoir :

— Tuons le veau gras ! L’enfant prodigue est de retour. Prenez une chaise et narrez-nous vos galants exploits.

J’avais menti, autrefois, en racontant des fornications imaginaires ; j’eus la pudeur de mentir encore en me bornant à dire que ces six mois avaient été pour moi vides, sans un incident qui valût d’être rapporté. Agathe fut très émue de me revoir, devint toute rouge et s’éclipsa. Elle n’avait rien perdu de sa belle ampleur, assez vulgaire. Quelle différence avec une Germaine, si fine et souple !

Je repris mes occupations auprès de mon père. Je ne bougeais des ateliers que sur le coup de cinq heures, où j’allais faire une monotone partie chez les Lureau. J’étais désaxé. Morizot m’ayant proposé d’être de moitié dans une expédition, non pas à Dijon, mais à Beaune, où il avait également des relations femelles, je déclinai l’invitation. Bien que mon abstinence commençât à dater, elle me pesait peu et pas une seule fois je n’avais eu recours aux expédients solitaires. Je n’en remarquai pas moins qu’Agathe ne tournait plus autour de nous, de moi. Je le dis à Morizot, qui prit un temps pour m’avouer qu’en mon absence il s’était passé quelque chose. Un jeune paysan que je devais connaître, un certain Bougret, profitant d’une maladie qui, en septembre, retint au lit maman Lureau, était devenu l’amoureux d’Agathe, couchant avec elle toutes les nuits. Maman Lureau, les ayant découverts, avait fait grand bruit et tapé dur. Bougret venait d’être enrôlé dans