Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/122

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s’élançait de montagne en montagne, mêlant à leur pourpre son bleu d’ardoise, plus foncé d’instant en instant.

— Oh ! fit mademoiselle Dax. – Tout était rose, et maintenant…

— Chut ! vous allez faire peur aux peintres de là-haut.

Les neiges mauve, magiquement décolorées, se firent lilas, puis glycine. Un moment la nuit sembla s’arrêter. Les montagnes étaient devenues bleues, toutes bleues. Et le couchant seul saignait encore d’une longue estafilade ardente.

— C’est fini, – dit Alice.

— Taisez-vous ! ça commence.

Soudain l’Alpe entière se transfigura. Des teintes imprévues, en réserve au fond de l’éther, – des jaunes, des gris, – s’abattirent sur le cobalt des glaciers et des pics, et le vert surnaturel de l’Alpenglün naquit. Effrayant suaire humide et blême, il enveloppa, il ensevelit tout l’horizon. Une lueur de tombe et de fantômes flotta, pareille aux phosphorescences funèbres des nuits d’orage sur l’Atlantique. Les grandes neiges éternelles apparurent, une minute, hors du soleil magicien, ce qu’elles sont en vérité, des cimetières de désolation et d’horreur… Une minute… Et la nuit victorieuse éteignit la vision.

Mademoiselle Dax ne parlait plus. Un frisson pénétrait ses moelles. D’un geste peureux, elle saisit la main masculine proche de sa main.

— Il faut rentrer, – dit Fougères.