Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/93

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Vous pouvez croire que quand elle écrivait au monsieur dont elle rêvait la nuit, ce n’était pas pour du bavardage…

— Oui ? – fit madame Terrien, gamine… – pourquoi c’était-il alors, dites, mon petit Fougères ?

Il la foudroya d’une indignation scandalisée :

— Femme impudique ! regardez cette vierge qui rougit de vos libertinages !… et écoutez, ça vaudra mieux que de dire des horreurs…

Il ouvrit le livre à une page marquée :


Onze heures du soir, 1774.

Mon Dieu ! que je vous ai peu vu, que je vous ai mal vu aujourd’hui, et qu’il m’est pénible de ne pas savoir où vous êtes en ce moment ! Comme un sentiment change et bouleverse tout ! Ce moi, dont parle Fénelon, est encore une chimère : je sens positivement que je ne suis point moi. Je suis vous ; et pour être vous, je n’ai aucun sacrifice à faire. Votre intérêt, vos affections, votre bonheur, vos plaisirs, ce sont là, mon ami, le moi qui m’est cher ; tout le reste m’est étranger.


Il tourna la page et feuilleta :


Songez que j’aurais pu dîner avec vous demain, que j’aurais pu vous voir ce soir. Soyez bon, soyez généreux : donnez-moi tous les moments qui ne seront pas employés à votre plaisir et à vos affaires. Je veux, je dois venir après ; si c’est trop demander, souffrez du moins que je le désire. Vous avez deviné à merveille, ce matin : je voulais votre réponse, et point