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faitement et librement qu’ils sont obligés d’aimer nécessairement[1] ! »

Telle sans doute était encore la situation morale de Pascal, lorsque la mort vint interrompre son ouvrage et lui faire trouver, dans le sein de l’éternelle vérité le repos qu’une intelligence comme la sienne ne pouvait peut-être pas obtenir en ce monde.

Il y a une œuvre que l’ambition de l’esprit humain poursuit à travers les âges ; c’est d’établir les véritables principes de la métaphysique et de la morale sur une base à jamais immuable et indestructible : c’est l’œuvre des Titans entassant les montagnes pour escalader le ciel ; c’est la toile mystérieuse qu’on n’achève point ; c’est l’œuvre dont Pascal a été le martyr. Ces fragments épars qu’il a laissés et qui, pareils aux débris d’un vaste miroir, ne reflètent que quelques rayons isolés de vérité, ne sont-ils pas l’image même de ce travail universel du genre humain, travail qui se perpétue de siècle en siècle, sans que le génie de l’homme puisse jamais dire : J’ai achevé.

On retrouve dans tout ce qu’a écrit Pascal cette inspiration morale qui est commune à tous les écrivains de Port-Royal. Mais si Pascal appartient au jansénisme par son sens dogmatique et par l’ardente austérité de sa vie, il s’en éloigne naturellement par l’ampleur même de son génie. L’aigle, quand il prenait son vol sans limites, emportait avec lui dans l’espace, au bout de ses ailes puissantes, l’étroite prison où il essayait lui-même de se contenir.

Le jansénisme, qui n’est pas assez grand pour l’esprit de Pascal, est en parfait accord avec ses mœurs. Pascal et les

  1. Tom. II, pag. 435