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ESTAMPAGE n. m. Terme populaire servant à désigner l’acte qui consiste à abuser de la confiance des camarades pour leur soutirer de l’argent. On appelle estampeur celui qui se livre à cet exercice malhonnête et ce mot est devenu synonyme d’escroc.

Dans son esprit, le mot estampage ne renferme pas son origine. Nous pensons qu’il est usité dans le sens péjoratif qu’on lui prête de ce fait que : la monnaie étant de pièces frappées ou estampées, on a dénommé estampeur celui qui s’en procure en usant de certains moyens frauduleux.

L’estampage n’est pas le vol ; c’est plutôt un abus de confiance. Dans les milieux d’avant-garde, où la solidarité s’exerce sur une grande échelle, et où la sensibilité des individus est continuellement tenue en éveil, il n’est pas étonnant de rencontrer de faux camarades qui profitent du bon cœur des compagnons pour vivre sur le commun et se procurer des ressources de façon malpropre. Cela est certainement regrettable, mais il n’y a aucun moyen sérieux de pallier à cet état de choses. Toutes les organisations, quelles qu’elles soient, ont leurs parasites ; c’est une conséquence logique de la société bourgeoise qui repose sur le vol.

Être victime de l’estampage ; se faire estamper ; être estampé, etc…

On appelle également estampage l’acte qui consiste à vendre une marchandise à un prix supérieur à sa valeur réelle. Le commerce (voir ce mot) n’est pas une chose honnête en soi ; nous l’avons démontré. De gros ou de détail, il donne naissance à un nombre incalculable de combinaisons plus ou moins louches ; mais c’est surtout en ce qui concerne le petit commerce que s’applique le mot estampage. Le monde pullule de charlatans qui, par leur bagout, s’attaquent aux naïfs et aux crédules et leur placent des articles inutilisables présentés avec une certaine recherche. C’est du reste la présentation que l’on paie car l’article en général ne vaut rien. Ceux qui se livrent à ce genre d’estampage sont nombreux surtout dans les grandes villes.

En un mot, l’estampage est une maladie sociale qui puise son germe dans la société imparfaite que nous vivons.

Dans la mesure du possible, il faut, dans nos groupes et cercles anarchistes, éloigner les estampeurs, car en outre qu’ils arrachent aux camarades des ressources qui pourraient être employées plus utilement, leurs actes sont indélicats, ils trompent les compagnons sincères et dévoués et nuisent à la bonne harmonie qui doit régner dans nos organisations.


ESTHÉTIQUE n. f. (du grec aisthetikos, sentiment). L’esthétique, nous dit le Larousse, est la « science qui traite du beau en général et du sentiment qu’il fait naître en nous ». C’est, en un mot, la philosophie de l’art. En vérité, si l’on veut considérer l’esthétique comme une science, il faut reconnaître que cette science permet une foule de spéculations, car il n’y a, en réalité, aucun critérium pour déterminer ce qui est beau et le séparer de ce qui est laid. Quantité de philosophes ont cherché à définir le « beau » et Aristote plaçait l’essence de l’art dans la nature ; il donnait ainsi une base à l’esthétique ; base peu solide, cependant, car tout ce qui est naturel n’est pas forcément beau. L’esthétique est, à notre avis, surtout une question de sentiment et de sensibilité. Tout ce qui touche à l’art est très complexe, et il est évident que, selon le point de vue où il se place, chaque individu peut avoir une conception particulière de l’esthétique. Ce qui apparaît beau à certains peut sembler laid à d’autres, et les sensations que l’on éprouve à la contemplation d’une œuvre d’art ou à l’audition d’un morceau de musique sont si multiples et si particulières, qu’il devient presque im-

possible de définir ce qui est esthétique ou ce qui ne l’est pas.

L’esthétisme n’est pourtant pas uniquement une question de sentiment : c’est aussi une question d’éducation. Tel individu peut préférer une vulgaire chanson de rues à une symphonie de Beethoven ou encore rester impassible devant une peinture de maître, alors qu’il s’extasiera devant la croûte d’un rapin sans talent ; il n’en est pas moins incontestable que la musique de Beethoven ou la peinture d’un Raphaël ou d’un Corot sont des productions d’essence supérieure. Si la grande majorité des hommes ne vibrent pas et n’éprouvent aucune sensation devant une manifestation de l’art, c’est que le sentiment artistique n’a pas été, chez eux, développé et qu’ils ne sentent pas toute la différence, indéfinissable, qui existe entre le « beau » et le « laid ». Savoir discerner les caractères du beau suppose une certaine culture et c’est cette culture qui manque au peuple. Rien, en société bourgeoise, n’est fait pour développer le sentiment esthétique chez le peuple, et, à part quelques manifestations artistiques officielles, de caractère souvent archaïque, le peuple reste éloigné de tout ce qui est beau. C’est aux organisations d’avant-garde qu’il appartient de compléter l’éducation populaire. Être révolutionnaire ne consiste pas simplement à renverser un ordre social périmé, mais aussi à transformer l’individu, à en faire un être supérieur, susceptible de comprendre toutes les productions de l’art, d’être émotionné à la lecture d’un beau livre ou à l’audition d’un chef-d’œuvre musical. La société ne sera vraiment idéale que lorsque l’homme sera, non seulement capable d’arracher à la terre ce qui est indispensable à sa vie matérielle, mais aussi un esthète, c’est-à-dire un être qui aime et qui pratique le beau.


ÉTAPE n. f. (du latin barbare staplus ou de l’allemand stapel, entrepôt). Autrefois on disait estape ou estapple. À l’origine, ce mot signifiait une foire, un marché public, une ville commerciale ; puis ensuite, il désigna l’endroit où les soldats s’arrêtaient en campagne pour se reposer et recevoir des vivres ou encore le gîte en route, pour le voyageur. De là viennent les expressions : doubler l’étape ; voyager par étapes ; faire deux étapes dans la même journée ; brûler les étapes, etc., etc.

Au sens figuré le mot étape est usité pour marquer un point d’arrêt sur le chemin qui mène au but que l’on poursuit. « La dictature du prolétariat est une étape sur le chemin du communisme ». C’est du moins ce qu’affirment les communistes autoritaires ; nous savons par l’expérience du bolchevisme que la dictature du prolétariat n’est pas une étape mais un but.

Il n’y a pas d’étape pour le révolutionnaire. La route doit être poursuivie sans arrêt et, pareil au Juif errant, il doit la parcourir jusqu’au jour où il aura atteint le but, qui ne peut être à notre avis qu’une société libertaire d’où auront disparu la contrainte et l’autorité.


ÉTAT n. m. L’aventure qui est arrivée, au cours de l’histoire humaine, à la réalité, et aussi à la notion : État, serait tout ce qu’il y a de plus amusant, si toutefois elle n’avait pas pris une tournure plutôt tragique.

Nous vivons dans un État. — Nous sommes, dit-on, servis par l’État. — Nous payons — nous le savons bien ! — un tribut à l’État. — Constamment — chacun de nous pourrait en raconter quelque chose ! — nous avons à faire avec l’État. Chacun de nous prétendrait savoir parfaitement bien ce que c’est que l’État…

Et cependant, celui qui supposerait que l’État est quelque chose de bien réel, de définissable, se serait trompé grossièrement.

Toutes les tentations de définir l’État d’une façon