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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/109

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ETA
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précise, scientifique, nette, ont échoué, au moins jusqu’à présent.

Il existe toute une science consacrée à l’étude de l’État. Mais, l’objet même de cette science — l’État — reste introuvable.

Les définitions de l’État fournies par les dictionnaires n’ont aucune valeur sérieuse.

Rien d’étonnant que, souvent, les grands spécialistes mêmes de la science juridique et étatiste se voient obligés de constater que l’État est, au fond, une fiction ; que tous les signes soi-disant distinctifs de l’État, même la fameuse souveraineté, sont applicables à d’autres phénomènes, et ne peuvent nullement servir à établir la réalité spécifique de l’État (L. Petrajitzky, Cruet, M. Bourquin, et autres auteurs).

Faisons-en tout de suite une déduction très importante : il existe une forme de coexistence des humains qui ne diffère pas beaucoup de certaines autres « collectivités organisées » (par exemple : Église, Nation, groupements politiques, caste et autres), mais qui a obtenu néanmoins, au cours des siècles une désignation spéciale : État, et à laquelle on attribue des qualités supérieures, souveraines, exceptionnelles. On prétend que cette organisation sociale se place au-dessus de toutes les autres, que son pouvoir est indiscutable, sacré, général. On l’impose à tout le monde. On lui doit une obéissance absolue et aveugle. C’est ainsi qu’on a créé une fiction, un fétiche.

Telle est notre première constatation.

Passons à la deuxième, qui n’est pas moins intéressante :

Si vous croyez que les origines de l’État sont connues, vous vous trompez encore. Là-dessus, on ne possède que des hypothèses plus ou moins vraisemblables ou invraisemblables. Les étatistes bourgeois, les étatistes socialistes ou communistes, les antiétatistes, — tous —, se représentent les origines de l’État d’une façon différente. Rien, ou presque rien, n’y est établi d’une façon précise, scientifique, nette.

Telle est notre deuxième constatation.

La troisième : le problème du rôle historique de l’État est l’objet de discussions interminables entre les étatistes de différentes nuances et aussi les antiétatistes. Là, non plus, rien n’est établi d’une façon définitive (Voir : Antiétatisme).

Placé devant ces faits, chacun devrait se demander : Quelle est, donc, la raison pour laquelle on m’oblige d’obéir, de me soumettre à une institution qui n’est, peut-être, qu’une fiction, dont les origines sont inconnues, et le rôle historique discutable ? Pourquoi veut-on que je reconnaisse, que je vénère une fiction ?

N’est-ce pas amusant, en effet, de voir les gens prendre, durant des siècles, une fiction pour une réalité, et reconnaître, respecter, servir quelque chose qui n’existe même pas ?

Nous l’avons déjà dit : ce serait amusant, voire très amusant, si la chose n’avait pas pris, hélas ! une tournure tout à fait tragique.

Car, la fiction a coûté, elle continue de coûter, elle coûtera encore beaucoup de sang.

D’ailleurs, c’est toujours pour des fictions (Dieu ! Église ! État ! etc…) que l’homme s’est battu, et se bat encore. Les réalités, tout ce qui n’est pas fiction, lui échappent. Les fantômes l’entraînent, le guident, l’absorbent… N’est-ce pas tragique ?

Et l’on dit que nous, les anarchistes, sommes des utopistes, des rêveurs !…

Mille fois non ! Rêveurs, utopistes, sont certainement ceux qui croient aux fictions. Quant à nous, briseurs de fantômes, nous sommes, précisément, des réalistes… Eh oui ! Nous, les anarchistes, qui prétend-on, voguons

dans les nuages, nous sommes, sans aucun doute, tout ce qu’il y a de plus à terre…



Eh bien ! En notre qualité de réalistes, qu’avons-nous à dire de l’État ? Comment expliquons-nous la puissance de ce fantôme, son influence formidable, sa « réalité » pour des millions de gens ?

La littérature anarchiste au sujet de l’État est très abondante. Cela se comprend, car la négation de l’État, la lutte contre l’État, au même point que celle contre le capitalisme, est la pierre angulaire de l’anarchisme. Les œuvres de Proudhon, de Bakounine, de Kropotkine, d’Elysée Reclus, de Malatesta, de Jean Grave, de Sébastien Faure, de Pouget, de Stirner, de Rocker, et de beaucoup d’autres libertaires moins connus traitent le problème à fond. Il serait superflu de les citer ici. Le lecteur cherchant à acquérir une érudition plus ou moins complète par rapport à l’État n’aurait qu’à s’adresser aux sources mêmes. Ce qu’il faut ici, c’est donner un résumé bref et net de notre point de vue.

Et d’abord, entendons-nous sur un point : étant donné l’absence d’une définition précise et solide de l’État, nous comprendrons sous ce terme un système de relations mutuelles — actions et réactions — entre un nombre d’individus plus ou moins importants, système dont l’étendue, l’influence, l’efficacité données sont limitées géographiquement, politiquement, économiquement, socialement, et dont la réalité n’est conçue qu’intuitivement par les individus qui y sont englobés.

Quelle est, d’après les anarchistes, l’essence même de ce système ? C’est ce que nous allons voir.

1o Les origines de l’État. — Comme déjà dit, elles sont, hélas ! bien ténébreuses. Les établir, les reconstituer paraît impossible.

Il existe, cependant, quelques points historiquement acquis, sur lesquels on est parfaitement d’accord, notamment : 1o l’avènement de l’État signifie la fin décisive du communisme primitif, de cet état d’égalité économique et sociale où les peuples vivaient à l’aube de leur histoire ; 2o une lutte entre la communauté primitive et l’État avançant triomphalement eut lieu durant des siècles et se termina par la victoire complète de ce dernier ; 3o Des liens intimes, organiques, existent entre la genèse de la propriété privée, de l’exploitation et de l’État. L’histoire entière nous prouve que, toujours et partout, l’État fut un système social instaurant définitivement, légalisant et défendant l’inégalité, la propriété, l’exploitation des masses travailleuses. (Les fameuses despoties soi-disant « communistes » de l’ancienne Égypte, du Pérou et autres n’y font pas exception, puisque leur « communisme » consistait exclusivement en une régularisation étatiste minutieuse de toute la vie privée des « sujets » ; mais, quant aux privilèges, propriété, castes exploitant et masses exploitées, tout ceci formait la base même de ces États).

C’est le dernier point qui, ici, nous intéresse le plus.

La cause fondamentale qui amena finalement à l’État fut donc la nécessité pressante, éprouvée par les classes naissantes dominatrices, privilégiées et exploiteuses, d’instaurer un système puissant qui sanctionnerait et défendrait leur situation. Les guerres, les conquêtes, les prérogatives politiques, les moyens matériels et autres, les aidèrent.

Le rôle historique de l’État. — Pour les sociologues bourgeois, le rôle historique de l’État est d’organiser la Société, de mettre de l’ordre dans les relations entre les individus et leurs divers groupements, de régulariser toute la vie sociale. C’est pourquoi, à leurs yeux, l’État est une institution non seulement utile, mais absolument nécessaire : seule institution pouvant assu-