Aller au contenu

Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/135

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
FAB
743

Les fables de Phèdre, qui occupent cinq livres, et sont écrites en sénaires ïambiques, sont reproduites en France au xvie siècle par les frères Pithou. Citons quelques titres de celles dont le sujet paraît lui appartenir : Les deux Mulets ; L’Allégorie de la Besace ; Les Frelons et les Mouches à miel ; La Lice et sa compagne ; Le Lion et l’Âne chassant ; L’Aigle, la Laie et la Chatte ; La Mouche et la Fourmi ; L’Œil du Maître ; Le Lièvre et la Perdrix ; La Cour du Lion, etc…

Au iie ou ive siècle, Avianus est l’auteur goûté de fables en vers élégiaques, parmi lesquels : Le Lion abattu par l’Homme ; Le Pot de terre et le Pot de Fer ; Le Satyre et le Passant ; Phébus et Borée ; Le Statuaire et Jupiter, etc…

La fable en France — Le moyen âge

Mais gagnons, en France, le moyen âge. Nous y revoyons la fable, en latin, avec les œuvres des Babrius, des Romulus, des Avianus, toutes plus ou moins ésopiques de facture ou d’inspiration. « Les hommes de ce temps, médiocrement sensibles à la beauté poétique, goûtaient infiniment ces apologues simples et nets où la sagesse s’exprimait d’une façon si rapide et si plaisante. Ils aimaient les allégories ingénieuses, puisqu’ils en mettaient jusque dans la pierre de leurs cathédrales. » (J. Berthet.)… Le moyen âge, en effet, est, par excellence, l’époque des allégories. Tant les arts que les lettres trahissent cette prédilection vivace pour le symbole. Signe parfois invariable et de lointaine transmission, tel « l’orgueil, représenté par un roi chevauchant un lion et portant un aigle en sa main, l’avarice par un marchand à califourchon sur un sac d’argent et portant une chouette, la luxure par une dame assise sur une chèvre, avec une colombe sur son poing, etc… » (Larousse.) L’allégorie est comme un pont jeté par l’art naissant au peuple toujours jeune. Il s’y engage à la poursuite de l’image et rejoint le concept par l’intuition. Et l’imagination empruntera longtemps ces routes suggestives ― mais à la longue compassées ― de communication. Car elles s’affadissent dans l’aisance si ne s’y entretient la communion des sources fraîches et des formes d’expression, et deviennent banales par l’abus ou se dispersent en détours décadents…

Longtemps, sous la loi romaine, il n’y a ― se substituant au celte lentement refoulé ― d’autre parler populaire que les idiomes corrompus de la soldatesque, et une sorte de bas-latin colporté par cette cohue de races que l’empire charrie dans sa marche agrégeante. Il n’y fleurit d’autre langage châtié que la langue savante de l’envahisseur, d’autre culture que le latinisme. Puis, les barbares à nouveau triomphants, les Francs implantés à leur tour sur le sol bousculé des Gaules ; et les Romains partis, et avec eux tout ce qu’il y avait d’artificiel dans une civilisation imposée, peu à peu s’affranchissent d’une gangue aux confus amalgames, les éléments de cette langue nouvelle qui sera le français. Une littérature s’ébauche, encore serve et longtemps orale, qui, patiemment s’agglomère et s’incorpore le meilleur de ses influences, et aura demain sa vie propre et un éclat croissant…

Comme toute langue à son enfance, elle s’essaie bientôt aux œuvres d’imagination : contes, récits grossiers que la fantaisie pétrit avec la matière du cru, parfois celle de tous les temps. Et elle nous donne le fabliau, parent dissolu de la fable, précurseur de ces contes poétiques qui enjoliveront plus tard la littérature classique. Le fabliau (ou fableau) apparaît dès le ixe siècle, mais n’atteint son apogée qu’avec

les xiie et xiiie siècles. Il est, dans sa forme innovée, en vers, fort goûté de nos pères. De la Picardie à la Champagne, « dans toutes ces bonnes villes où l’homme ne peut se passer de son voisin, ni s’abstenir d’en médire » (G. Lanson), on en chérit la bonne compagnie, causeuse et luronne, et scabreuse à souhait. Prenant au terroir sa causticité, le fabliau se prête aux médisances sournoises, aux dérisions souvent paillardes. Il fait des classes et des individus sa cible familière. Et, sous le grotesque des tours et de la gaudriole, s’exhalent des rancœurs et des haines. Trois acteurs sont au premier plan : la femme, les clercs et les vilains. La femme, malicieuse, dissimulée, perfide, tout en esprit de perdition, est l’âme du fabliau. Le clergé alimente avec la bourgeoisie la verve du conteur, agrandit le champ des situations. Quant au vilain, trompé, volé, rossé, il prend, par la moquerie, une sourde revanche de sa condition. Et nous avons : le curé qui mange des mûres ; la vache à Brunin ; le vilain Mire (dont Molière tirera son Médecin malgré lui) ; le vilain qui conquit paradis par plaid, etc…

On aurait tort toutefois de supposer que le bavardage du fabliau prend figure inquiétante de critique. Plus farce que satire, il s’épanche en grivoiseries drolatiques plus qu’en saillies dénonciatrices et ses égratignures s’effacent par des rires, ses coups d’estoc finissent en pirouettes. On ne peut dire davantage que les mœurs s’y reflètent en crudités véridiques et qu’il peint au réel ; non plus qu’une psychologie même sommaire y recherche le ressort intime des personnages, exception faite pour « le Valet qui d’aise à mésaise se met » et « la Veuve » (de Gauthier le Long) que reprendra plus tard si finement La Fontaine. Et cependant, malgré que la truculence bouffonne de beaucoup dépasse et élargisse les licences quotidiennes, et que le trait vaudevillesque y poursuive bien moins le commun que l’exception, ces œuvres, toutes de délassement, sont à l’étiage d’une époque, et la caricaturent…

Le fabliau, cependant, endigue peu à peu ses débordements. Ses façons relâchées se brident, sa faconde se tempère : il s’assagit. Même, il abandonne ses sujets, il emprunte au passé : il imite, et le voilà qui, déjà, moralise. Par les Bestiaires et les Ysopets se trouve renouée la tradition interrompue de l’apologue.

Les Bestiaires (xiie et xiiie siècles) sont des poèmes qui, sur un fond légendaire bien plus qu’observé, font se mouvoir des animaux. D’une vie d’ailleurs toute allégorique : un symbole apparente leurs gestes et leurs coutumes aux vices et aux vertus des hommes. Et une leçon s’en dégage, qui dit le but moralisateur. Les plus célèbres sont le Bestiaire d’amour, de Richard de Fournival, et le Bestiaire divin, de Guillaume de Normandie. Rutebeuf, l’amer ménestrel, nous donne au xiiie siècle Renart le Bestourné, La Voie de Paradis, L’Âne et le Chien

Plus proche de l’antiquité sont les Ysopets (petits Ésopes), transposition des fables d’Ésope vues à travers les compilations latines. Le Dict d’Ésope, de Marie de France (xiie siècle), avec le Renard et le Corbeau, en est le spécimen le plus remarquable. On y trouve l’art de la composition, la grâce, la simplicité, et des traits attendris et délicats qui font penser à La Fontaine.

Mais aucune tentative ne rend à la fable une couleur et une puissance depuis longtemps perdue comme le Roman de Renart. Cette vaste et plantureuse encyclopédie, éparse sur plusieurs siècles en quelque vingt-sept branches et quatre-vingt mille vers, et groupée sous des noms multiples (parmi lesquels on a conservé