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coup de main pour aller piller une tribu voisine, ou pour faire une expédition en pays plus éloigné, ou bien lorsqu’il faut défendre la fédération contre un ennemi menaçant. Alors, la tribu, ou l’ensemble des tribus, choisit un chef d’expédition, un roi des rois, un chef de guerre (Agamemnon, Samson, Vercingétorix, Abd el Krim, etc…), dont l’autorité d’ailleurs est précaire et temporaire. C’est pourquoi quelques écrivains ont donné le nom de république à ces groupes sociaux.

Dans ces sociétés primitives, chaque seigneur, ou chef, ou pater latin, ou roi est indépendant. Ce hobereau est à la tête d’hommes libres, plus ou moins nombreux, parfois une douzaine, parfois quelques centaines, ou bien davantage. Mais la condition d’homme libre s’entend par rapport à la condition d’esclave, lesquels sont d’ailleurs très peu nombreux. Il n’y a pas de liberté véritable chez les primitifs. L’homme libre ne peut pas sortir de la tribu. Dans les temps les plus lointains, il est lié d’obéissance au totem, à la coutume, plus tard, à celui qui a accaparé la puissance du totem, c’est-à-dire au chef de la tribu.

La vassalité caractérise le régime féodal. Quand le royaume parvient à se constituer, les chefs de tribu deviennent les vassaux du chef de la fédération. Prérogatives et rapports sociaux sont héréditaires et fixés par la tradition.

Ce qui caractérise cette féodalité primitive, c’est encore le caractère familial des rapports sociaux. La hiérarchie est compensée par une certaine familiarité. Le seigneur est le protecteur de ses vassaux et de ses clients. Les mœurs appartiennent au régime patriarcal, qui n’est pas essentiellement idyllique, car il comporte tous les abus d’une autorité monopolisée par une seule famille et non contrôlée, et où la violence sans espoir est le seul recours contre l’injustice.

L’appropriation individuelle existe déjà. Les familles nobles sont les plus riches, c’est-à-dire qu’elles possèdent la plus grande partie des troupeaux. Les forêts, landes, friches, pâturages, continuent à rester indivis. Lorsque la culture apparaît chaque famille cultive ce qu’elle peut. Le seigneur s’approprie la plus grande partie des terres cultivables, que ses esclaves ou serfs, ou ses métayers, cultivent pour lui. Cette appropriation a toujours tendance à s’accentuer aux dépens des pauvres, qui passent à la condition de colons ou métayers, ou serfs.

II. — Féodalité proprement dite. — L’invasion des Barbares détruit le cadre administratif de l’empire romain. Il n’y a plus d’Etat. Tout le système fiscal, qui pesait si lourdement sur les populations, s’écroule. Chaque chef de clan s’établit sur la terre conquise, comme seigneur à peu près indépendant, sauf rapport de vassalité, souvent assez vague, avec le roi. Il a le droit de justice dans son domaine. S’il s’est établi dans une région où la vie commerciale est importante, il prend le droit de battre monnaie, qui, dans la suite des temps, est toujours une fausse monnaie (la monnaie du roi ne vaut pas mieux). Ses hommes s’installent comme seigneurs de moindre importance, ou comme francs alleutiers (propriétaires libres et indépendants).

L’établissement des Barbares n’est pas définitif immédiatement. Des bandes parcourent longtemps le pays en conquérants. Un des fils de Clovis, Thierry, fait deux expéditions en Auvergne, qui fait partie de ses États, pour donner à ses troupes l’occasion de piller. Les envahisseurs ne se fixent que lentement. En fait, l’organisation féodale ne se réalise qu’à l’époque carolingienne. À ce moment, si l’on cherchait les origines de l’aristocratie, on trouverait, parmi ses ancêtres, les conquérants de race étrangère, descendants des chefs de clan, et aussi les chanceux, les débrouillards, devenus serviteurs, truchements et compagnons des chefs

barbares, et encore les gros propriétaires gallo-romains ayant pu traiter avec les envahisseurs (au moment de l’ « hospitalité », on partage des terres). Les simples hommes libres, d’origine germanique, les francs alleutiers du début ont disparu sous la pression des conditions sociales, trop faibles pour se protéger eux-mêmes dans les guerres et les compétitions incessantes.

Sous l’autorité des seigneurs, le peuple travaille et peine. La bourgeoisie est peu importante : quelques artisans et marchands dans les villes dépeuplées. Toute la vie économique est agricole. Or, déjà, sous le Bas Empire, la classe rurale moyenne avait complètement disparu. Sous la dépendance de très gros propriétaires, il n’y avait plus que des colons, asservis à la terre. La conquête barbare n’a pas beaucoup changé les conditions sociales. Ces colons sont devenus pour la plupart de véritables esclaves (servus ou serf veut dire en latin esclave), des serfs de la glèbe, véritables bêtes de somme, sans aucun droit, subissant le droit du bon plaisir, du plaisir sexuel (droit de cuissage, racheté plus tard), de tous les caprices d’un pouvoir absolu. Ce sont des esclaves, et c’est tout dire. Il est remarquable que l’Église chrétienne n’a fait aucun effort pour libérer les serfs. Elle est devenue féodale, et toute sa politique a tendu à accaparer des biens et des richesses. Elle s’est montrée souvent plus dure pour ses serfs que les seigneurs laïcs.

Aucun espoir pour le serf de se libérer. Il n’a pas le droit d’entrer en cléricature. Les couvents accueillent des vilains, des bourgeois, des nobles, mais pas des serfs ; ceux-ci appartiennent à leur seigneur. Les prêtres, même s’ils sont d’humble extraction, sont, eux aussi, de libre origine ; ils se recrutent parmi les enfants bien doués des vilains, des bourgeois surtout, parmi les cadets des familles nobles, et à ceux-ci sont réservées les grasses prébendes ; quelquefois un fils de serf (peut-être un bâtard), protégé par le maître et affranchi, sera, avec son consentement, instruit pour entrer dans les ordres.

Il y a certes souvent des maîtres passables, parfois de bons maîtres. Mais il faut se souvenir de la brutalité des mœurs de cette époque où comptent pour rien la souffrance et la vie humaines. Malgré le triomphe du christianisme, malgré la puissance de l’église, l’état de guerre est permanent. Ce qui le prouve, ce sont les châteaux-forts, ce sont les bourgs fortifiés, les églises fortifiées. Tout le monde se garde. Les seigneurs font métier de faire la guerre pour en tirer profit.

Plus tard, avec l’adoucissement des mœurs, cette guerre pourra devenir un sport ; il y aura des règles d’honneur et de courtoisie entre les chevaliers, mais pas vis-à-vis des gens du peuple. À ce moment, quand la vanité de paraître l’emporte sur la brutalité, ce sont les serfs et les vilains qui pâtissent des dépenses démesurées. Le domaine doit pourvoir aux dépenses du maître, et c’est aux dépens de l’entretien du travailleur. Le luxe avec une technique peu évoluée (donc à faible rendement) a pour conséquence la misère des producteurs (note de Christian Cornelissen).

La condition des serfs change au cours des temps. Taillable et corvéable à merci, à la merci du maître, le serf n’avait la propriété, ni la disposition de rien : ni de son pécule, ni, non plus, d’un bien, si minime fût-il, à laisser à ses enfants. Lui mort, le seigneur pouvait reprendre la vache qui aurait fait vivre les orphelins. Mais travail d’esclave n’est pas profitable. Peu à peu les maîtres se rendirent compte qu’ils avaient intérêt à laisser au travailleur une part de la production en toute propriété. Le serf devenait vilain, toujours attaché à la terre, mais libre de son pécule, maître du petit bien qu’il pouvait avoir ; il travaillait mieux et le seigneur y trouvait profit.

Car la servitude économique ne changeait guère. Le