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grâce de son ami, mais de ce qu’il n’avait pas été chargé de l’arrêter !… Lorsque le clergé parvint à faire révoquer l’Édit de Nantes, grâce à l’influence déterminante des jésuites, voici comment Bossuet salua ce parjure de ce crime de Louis XIV : « Touchés de tant de merveilles, épanchons nos cœurs sur la piété de Louis ; poussons jusqu’au ciel nos acclamations et disons à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Théodose, à ce nouveau Marcien, à ce nouveau Charlemagne, ce que les six cent trente pères dirent autrefois dans le concile de Chalcédoine : « Vous avez affermi la foi, vous avez exterminé les hérétiques : c’est le digne ouvrage de votre règne, c’en est le propre caractère ! ». » Massacres, spoliations, proscriptions, voilà ce qu’un flagorneur religieux trouvait de plus digne pour caractériser le règne de Louis XIV, et ce flagorneur était Bossuet « l’aigle de Meaux », une des « lumières de l’Église » !…

Louis XIV ayant été opéré d’une fistule à l’anus, tout le monde à la cour voulut avoir sa fistule et offrir son derrière au bistouri des chirurgiens qu’on assaillait. Mais ce qui montre plus que tout le degré de basse servilité où était capable de tomber cette prétendue élite de la noblesse, c’est le privilège de « porter le coton », qui était consacré par le brevet d’affaires permettant d’assister le roi et de lui présenter le torche-cul quand il était sur sa chaise percée !…

Finissons-en avec ces mœurs qui sentent plutôt mauvais et avec Louis le Grand — pauvre Boileau ! — en citant ce mot du maréchal Villeroy, aussi pitoyable maréchal que cynique courtisan : « Il faut tenir le pot de chambre aux ministres tant qu’ils sont en place, et le leur verser sur la tête quand ils n’y sont plus. » C’est, en style lapidaire, tout le secret de la réussite des flagorneurs. Celui qui reste fidèle à l’infortune et ne sait pas, à propos, lancer le coup de pied de l’âne, ne réussit pas dans la vie qu’ils ont faite.

Louis XV fut encore plus mal élevé que son aïeul. Les « grands hommes », les savants, artistes, éducateurs, tous « intellectuels d’élite » ne manquèrent pourtant pas, si nous en croyons l’histoire, à la fin du « grand siècle » qui vit l’adolescence de ce roi. Barbier, qui « idolâtrait » Louis XV enfant au point d’écrire dans son Journal ceci : « … Il a pris de l’émétique, ce qui a fait une évacuation charmante », ce Barbier peu suspect par conséquent de médisance, écrivait aussi : « On commence à craindre que le caractère du roi (alors âgé de treize ans), ne soit mauvais et féroce », et il racontait comment le roi avait tué lui-même, sans autre motif que son caprice, une biche blanche qui venait manger dans sa main. « On a trouvé cela très dur », dit Barbier. Mais n’avait-on pas fait tout ce qu’il fallait pour que le futur Louis XV arrive à cette dureté ? A six ans, on lui donnait le divertissement de voir réunis dans une vaste salle un millier de moineaux au milieu desquels on lâchait les oiseaux de la fauconnerie qui tuaient tout. Et le jeune prince s’amusait fort de l’affolement des moineaux, de leurs cris de détresse, de leur agonie et de la vue du sang. Comment s’étonner que Louis XV eut une si violente passion pour la chasse, qu’il y participa plus de cent fois par an, et qu’en vingt-cinq ans il tua lui-même plus de deux mille six cents cerfs ? Comment s’étonner aussi que cette férocité se soit exercée jusque sur des enfants qui lui étaient livrés pour de sadiques plaisirs ? Comment s’étonner enfin de cet égoïsme qui lui faisait dire : « Après moi, le déluge » ? Le déluge, ce fut la Révolution qui sortit de la misère du peuple et des turpitudes dirigeantes qu’une aristocratie décadente et pourrie rendait encore plus odieuses. Les plus clairvoyants la voyaient arriver et l’annonçaient, cette Révolution ; les flagorneurs du régime s’appliquaient à la nier.

Napoléon, qui singea Louis XIV dont il envia la prétendue grandeur étant sans doute bien peu sûr de la sienne, ne manqua pas non plus de flagorneurs. Il les recherchait pour s’entendre dire qu’il était un « grand homme », et il les payait cher. Cyniquement, il leur disait qu’il les savait à vendre, mais l’espèce n’ayant aucune pudeur en était flattée. C’est sur Napoléon Ier qu’a été écrite ce que Larousse appelle « la plus complète monographie du courtisan » : les Mémoires de M. de Beausset, préfet du palais impérial. Dans ces Mémoires, il est écrit qu’il n’y avait à la cour de Napoléon que des gens et des choses adorables. M. de Beausset était tellement enchanté de son maître, qu’il lui trouvait, entre autres qualités, la « modération », la « franchise politique » et « une bonhomie qui s’infiltrait dans tous les cœurs ». D’autres Mémoires, ceux de Mme de Rémusat, disent ce qu’il faut penser de tout cela. M. de Beausset va jusqu’à dire que Napoléon fut dépourvu d’ambition : « S’il eût été ambitieux, serait-il tombé sur l’homicide rocher de Sainte-Hélène ?… » On est désarmé devant cette ingénuité, et elle est certainement sincère, car les Mémoires de M. de Beausset ne parurent qu’en 1827, en un temps où Napoléon ne pouvait plus rien pour lui. Celui-là, au moins, avait gardé la reconnaissance des bienfaits reçus ; il ne « vidait pas le pot de chambre » sur la tête de son maître vaincu.

Les rois plus ou moins constitutionnels du xixe siècle eurent aussi des flagorneurs sous les espèces de ces courtisans, que P.-L. Courier a si vigoureusement cinglés du fouet de sa satire. Ils ne manquèrent pas non plus autour de Napoléon III et des aventuriers, gens de sac et de corde, qui perpétrèrent avec lui le crime du 2 décembre.

On a raconté que Guillaume II, le sinistre kaiser qui mena l’Allemagne à la guerre de 1914, traitait ses courtisans de « vieux ânes… vieux cochons », et ces fantoches, sanglés dans leurs uniformes étincelants, harnachés de plumes et de panaches, étaient tous fiers de ces grossièretés familières, elles étaient pour eux de nouveaux brevets de noblesse.

Aujourd’hui, les flagorneurs pullulent autour des puissances d’argent, souveraines sur toutes les autres, dans les cénacles académiques, les salons littéraires, les boutiques d’art, à la Bourse, dans les ministères, dans les journaux, partout où s’étale la vanité. Ils opèrent publiquement. Leurs flagorneries emplissent des colonnes de papier. Pour le profit de leurs « patrons », ils pétrissent, façonnent, dirigent l’opinion, suivant les indications qu’ils en reçoivent. Ils ont développé et étendu leurs procédés avec les moyens modernes de publicité. A la platitude devant les maîtres distributeurs de sportule et de décorations, ils ont ajouté le chantage quand ils n’obtiennent pas assez vite satisfaction. Ils se donnent alors des airs indépendants, audacieux, qui font plaisir aux « démocrates », bons imbéciles qui vous disent : « Croyez-vous qu’un Louis XIV aurait supporté de telles façons ?… » Ils retombent vite sur les genoux lorsqu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient. C’est ainsi que le personnel de ce qu’on appelle la « démocratie » s’enfonce peu à peu dans la vase des reniements et des compromissions aussi sales que ceux d’ancien régime.

Le flagorneur, parasite malfaisant, est le produit naturel du milieu de décomposition sociale que forme l’élite dirigeante. Il se développe dans ce bouillon de culture comme le microbe dans un organisme infecté, comme l’asticot sur la charogne. Le jour où une véritable élite se manifestera et prendra sa place, il n’y en aura plus pour les flagorneurs, les larbins, les lèche-bottes, ceux qui ont l’échine trop souple et les genoux trop ployants. Ils disparaîtront avec les faux-