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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/22

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ECR
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procédés, et que seule une faible minorité était capable d’apprendre et susceptible d’écrire.

L’écriture phonétique n’exige, elle, qu’un nombre restreint de signes ou caractères auquel on donne un son conventionnel et dont l’assemblage dans des ordres différents permet à l’individu de transmettre toutes les idées qui germent en son cerveau.

On pense que l’écriture phonétique ou alphabétique est d’origine phénicienne et que ce fut Cadmus, le fondateur légendaire de Thèbes, qui porta aux Grecs les premières lettres. Par la suite, les peuples varièrent la forme des caractères et aussi leurs dispositions, et si les Orientaux écrivent, par exemple, horizontalement de droite à gauche, les occidentaux depuis fort longtemps, écrivent de gauche à droite ; quant aux Chinois, leur écriture est perpendiculaire et ils écrivent de haut en bas.

Quelle que soit la forme des caractères et la façon dont on les utilise, la nécessité de savoir écrire est incontestable, puisque c’est l’unique moyen qui existe de s’exprimer à distance et que l’écriture est un précieux intermédiaire entre les hommes. L’écriture est un facteur d’évolution et il est remarquable que les peuples analphabétiques, c’est-à-dire ceux où la grande majorité des hommes ne savent ni lire ni écrire, sont les plus arriérés au point de vue social.

On pourrait objecter que l’écriture est comme « les langues d’Ésope » la meilleure, mais aussi la plus mauvaise chose qui existe ; que si elle est un facteur d’évolution, elle est aussi un facteur d’asservissement et qu’elle sert à traduire et à transmettre les bonnes et les mauvaises pensées ; que les maîtres, les chefs, les dirigeants, les bergers du peuple, par son intermédiaire, empoisonnent et corrompent la mentalité de ceux qu’ils veulent maintenir dans l’esclavage, pour mieux profiter du produit de leurs travaux. C’est une erreur. La lumière finit toujours par triompher de l’obscurité et une idée juste d’une idée fausse. Si l’écriture véhicule des idées fausses, elle véhicule également des idées nobles et grandes et petit à petit — c’est une question de temps — l’arbitraire et l’erreur s’estompent, s’effacent et disparaissent devant le flambeau de la vérité.

Et c’est pourquoi il est souhaitable que dans un avenir rapproché, chaque homme sache lire et écrire. Lorsque, sur tous les points du globe, il n’y aura plus un illettré et quand chaque individu sera capable de comprendre ce qu’il lit, alors il sera impossible de maintenir l’être humain dans l’asservissement et il se libèrera de toutes les chaînes qui le tiennent encore rivé à la barbarie ancestrale.


ÉCRIVAIN n. m. (du latin scriptor). Le mot écrivain, bien que peu usité maintenant en ce sens, sert à désigner celui qui fait son métier de l’écriture. Il y a peu de temps encore, alors que quantité de gens ne savaient ni lire ni écrire, il existait des écrivains publics, tenant échoppe tout comme des savetiers, et qui, moyennant rétribution, rédigeaient pour les illettrés, les lettres, les mémoires, les pétitions, etc…

En France du moins, ce métier a presque totalement disparu et le terme écrivain est couramment employé comme synonyme de : littérateur, homme de lettres, romancier. Un grand écrivain ; un bon écrivain ; un excellent écrivain ; un écrivain médiocre.

Pourtant il ne faut pas s’y tromper ; quoique l’on désigne sous le nom d’écrivains tous ceux en général qui se mêlent d’écrire, gardons-nous de confondre : écrivain et littérateur, car il ne suffit pas pour être homme de lettres d’assembler des caractères, de composer un ouvrage, de le faire éditer et d’essayer de le lancer dans le public, faut-il encore dans cet ouvrage exprimer des pensées saines, claires et logiques. Il y a certainement plus d’écrivains que de littérateurs et cela s’explique

facilement. Les métiers manuels étant considérés comme inférieurs par les classes possédantes, une partie de la bourgeoisie — tout le monde ne peut pas se lancer dans le commerce, la finance ou l’industrie — se jette dans les professions dites libérales. Or, celles-ci se divisent en deux catégories : Premièrement celles qui nécessitent des études sérieuses, profondes et suivies : la médecine, les sciences, etc…, qui fournissent les docteurs, les chirurgiens, les ingénieurs…, et dont l’exercice exige, plus que des diplômes : des capacités techniques ; deuxièmement, les professions libérales indéterminées, que chacun peut embrasser, qui produisent les politiciens, les journalistes, les écrivains, et qui groupent tous les ratés, tous les incapables, tous les rebuts intellectuels de la Société. En notre siècle de mercantilisme, la chance et le culot sont de plus sûrs facteurs de réussite que les connaissances ; mais l’assiette au beurre est relativement petite pour tous les appétits, et bien des affamés de gloire, d’honneur et de réputation n’arrivent jamais jusqu’à la précieuse table sur laquelle elle repose. Ils tentent cependant de sortir de l’ombre et comme chacun peut se dire écrivain et coucher sur le papier les idées les plus saugrenues et les plus ridicules, ou encore écrire pour ne rien dire, le monde est infesté d’écrivaillons qui produisent des livres sans intérêt, que bien souvent personne ne lit et qui pourrissent dans les caves des éditeurs et des libraires.

Malheureusement, parmi les littérateurs sans talent, il est une minorité qui, s’assimilant les goûts du grand public d’ignorants, spécule sur cette ignorance, et par une prose infecte — qui obtient un succès retentissant — continue d’empoisonner l’esprit des foules. Ce qui peut de par le monde s’écouler de romans feuilletons est formidable. Le romancier, l’écrivain qui a le courage — ou la lâcheté — de se livrer à un tel sport, sport avantageux au point de vue intérêt, acquiert bien vite la réputation et la fortune ; et comme aujourd’hui tout s’achète et se vend, comme chacun n’a qu’un but : gagner de l’argent et jouir de la richesse ; comme la société n’est qu’un vaste comptoir commercial, l’écrivain stupide, trouve bien vite un éditeur, alors que le savant ou l’homme de lettres sérieux est — à part quelques exceptions qui s’imposent par leur génie — incapable de vivre de sa plume.

Les « Corneille », qui au déclin de la vie et après une existence de travail sont contraints d’attendre chez le savetier, n’ont pas disparu. Il y en a toujours, cependant que des Pierre Decourcelle et des Michel Morphy crèvent sur des montagnes d’or.

Peut-il en être autrement en un siècle où tout se négocie, se marchande, où l’on ensemence le cerveau du peuple, comme on ensemence un champ de betteraves, sans tenir compte de ce qui est bon ou mauvais à l’individu, mais en calculant simplement le rendement de l’opération.

L’écrivain, dont le rôle social devrait être de soigner et de guérir les esprits, comme le médecin soigne et guérit les plaies et les maladies, s’est prostitué à l’argent et n’est plus qu’un objet méprisable entre les doigts crochus du capital.

Mais quoi, « il est des célébrités factices auxquelles on travaille toute sa vie et qui finissent à la mort. Il y a des célébrités qui commencent à la mort et qui ne finissent plus ». L’écrivain médiocre ne sera jamais glorieux si l’on pense avec Voltaire « que la gloire est la réputation jointe à l’estime ». Il peut acquérir auprès des faibles et des ignorants une certaine popularité, mais son nom s’efface de l’histoire à mesure que le peuple s’éduque et comprend, et s’il ne se perd pas dans l’oubli, il ne subsiste que pour signaler une époque de bassesse et de lâcheté et est méprisé comme celui du criminel ou du général qui sont des glorieux sans gloire.