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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/233

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de renseigner le lecteur, en lui laissant le soin de critiquer ou de juger.

La vérité est que, dans tous les documents maçonniques que nous avons pu consulter, l’attachement aux symboles, le respect des formes traditionnelles de la franc-maçonnerie, sont considérés comme le devoir élémentaire du franc-maçon.

Ces formes, pour tous les francs-maçons, quelle que soit leur « obédience », quelle que soit leur nationalité, pour les libres penseurs comme pour ceux qui paraissent encore attachés aux religions du passé, symbolisent l’œuvre même, la raison d’être et le but de leur institution.

Elles ont séduit les francs-maçons des siècles précédents. Elles surprennent peut-être au début les nouveaux « initiés ». Mais il faut croire qu’elles contiennent en elles une force et une influence singulières, puisqu’ils arrivent à les aimer, à les pratiquer et à les défendre contre toutes les injures. Peut-être même s’y attachent-ils en raison directe de ces attaques et de ces injures. Au moins, dans leur pensée, ces formes et ces symboles contiennent-ils pour ceux qui les emploient un enseignement fécond et une espérance, tandis que tant d’autres formes et tant d’autres symboles, qu’ils soient en usage dans la vie courante, ou qu’ils soient employés par les sectes religieuses, n’ont pour résultat que de contribuer à maintenir les hommes dans l’esclavage, dans l’abrutissement, dans l’ignorance et dans la routine.

La truelle, le marteau, l’équerre, le niveau, le compas, la règle, tous les outils employés par le tailleur de pierres, par le maçon, par l’architecte, autant d’outils symboliques que les rituels maçonniques mettent, suivant les grades, dans les mains de l’initié. Au moyen de ces outils, le franc-maçon collabore à la construction du temple. Il ne s’agit plus, comme au moyen-âge, de bâtir des cathédrales, mais, ainsi que nous l’expliquent les innombrables écrits maçonniques depuis deux siècles répandus dans le public, il s’agit de construire un temple idéal, qui ne sera jamais achevé, parce que l’homme devra toujours chercher à s’élever dans l’échelle des êtres ; il s’agit de préparer une société meilleure, où régneront de plus en plus la fraternité, la tolérance, la bonté, la paix entre tous les hommes.

Ainsi tous ces outils, tous ces signes, toutes ces formules, symbolisent et stimulent l’effort individuel ; ils signifient pour les maçons l’efficacité de la méthode qui nous est déjà apparue comme la méthode propre de la franc-maçonnerie, celle qui veut provoquer et réaliser le progrès de la société et de l’humanité par le travail persévérant, patient, continu de l’être humain, confiant dans son effort et dans ses destinées.

Il n’est pas surprenant que ce symbolisme puisse donner lieu à des interprétations diverses, dont nous trouvons la trace dans les écrits maçonniques. Il n’est pas surprenant que les diverses associations de francs-maçons ne soient pas toujours d’accord sur la route à suivre, sur les moyens à employer, sur les principes même parfois. Mais, au fond de tout ce symbolisme, il y a un hymne au développement de la personnalité humaine et c’est cela surtout, beaucoup plus peut-être que la ressemblance des pratiques et des usages, qui constitue, malgré tant d’oppositions et de malentendus, l’unité et, suivant l’espérance de ses adeptes, la pérennité de l’Ordre maçonnique.

Peut-être un rapide historique des origines de la franc-maçonnerie moderne permettra-t-il de préciser encore mieux les tendances de l’institution et d’apprécier le rôle qu’elle joue dans la société contemporaine.


II

Il n’est plus guère contesté aujourd’hui que la franc-maçonnerie tire son origine des collèges de maçons constructeurs ou tailleurs de pierre du moyen-âge. L’art

de bâtir comportait des connaissances, ou, comme on disait autrefois, des « secrets » grâce auxquels les architectes ou constructeurs étaient entourés d’une considération particulière (V. au mot architecture) dans l’antiquité. Vitruve, qui dédia à l’empereur Auguste son Traité d’architecture, exige chez l’architecte non seulement des connaissances techniques, mais des connaissances en médecine, en jurisprudence, en rhétorique, en mathématiques, en géométrie, en physique, en histoire, etc. Plus tard, au xvie siècle, Philibert Delorme reconnaît aussi ces études comme indispensables à l’architecture. Ce fut le métier le plus prisé de l’antiquité, et dès lors les bâtisseurs jouissaient de privilèges dus à la particularité de leur art.

Au moyen-âge, les maçons constructeurs, depuis une époque très reculée, étaient groupés en guildes et en confréries. Ils avaient des signes de reconnaissance, inconnus des profanes et des simples ouvriers qui ne possédaient aucun secret. Ils allaient où on les appelait. N’appartenant généralement pas au pays où ils travaillaient, ils étaient des maçons libres, des freemasons. Ils avaient des franchises que ne connaissaient pas les autres corps de métier. Ils étaient soumis à des juridictions spéciales qui, en France, furent confirmées par les rois Charles IX, Henri IV, Louis XIII et Louis XIV. Par eux furent bâties les cathédrales du moyen-âge, par exemple la cathédrale de Strasbourg. Auprès de chacun de ces monuments, les maçons se trouvaient réunis dans une baraque en planche, hutte ou lodge. La loge, qui plus tard est devenue le titre distinctif des groupements maçonniques, c’était donc primitivement l’endroit où ils sr réunissaient, peut-être même où ils habitaient, pendant l’édification de l’ouvrage entrepris.

Les francs-maçons possédaient la considération publique et il semble qu’ils s’efforçaient de la mériter par la dignité de leurs coutumes. Dans les traités du xvie siècle qui parlent de leur art, on leur recommande, en plus de la science requise pour l’exercice de leur métier, la probité, la franchise, la délicatesse. Ils étaient liés entre eux par une solidarité étroite qui se manifestait dans de nombreuses circonstances, solidarité qui d’ailleurs n’était pas un caractère particulier de leurs confréries.

Ils comprenaient des apprentis et des maîtres compagnons qui étaient « initiés » au secret de l’art.

Enfin il y avait dans certaines villes des Mères-loges, comme celle de Strasbourg, qui possédait sur les autres ateliers une sorte de juridiction.

Il paraît certain aussi que les caractères particuliers de la profession, les connaissances qu’elle nécessitait, les déplacements fréquents des compagnons tailleurs de pierre, peut-être aussi l’orgueil de traditions et d’usages qu’ils prétendaient faire remonter à une haute antiquité, avaient donné aux membres de cette corporation une sorte d’indépendance, des notions de libéralisme et de cosmopolitisme, qu’ils se transmettaient de génération en génération. Quelques-uns de leurs ouvrages en portent la trace. C’est ainsi que dans la galerie supérieure de la cathédrale de Strasbourg une procession d’animaux a été taillée dans la pierre. Elle est conduite par un ours qui porte la croix. Un loup tenant un cierge allumé y précède un porc et un bélier chargés de reliques ; tous ces quadrupèdes défilent pieusement, tandis qu’un âne figure à l’autel, disant la messe.

Revêtu d’ornements sacerdotaux, un renard prêche à Brandebourg devant un troupeau d’oies.

Les exemples de cette nature abondent. On rencontre en particulier des jugements derniers parfois fort subversifs, en ce sens que, parmi les damnés, figurent couramment des personnages couronnés ou mitrés. Le pape lui-même, coiffé de la tiare et flanqué de cardinaux, a été voué aux flammes éternelles sur le portail du munster de Berne. Les maçons constructeurs prétendaient,