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l’arrêter, le condamner, l’attacher au poteau d’exécution et le fusiller.

Enfin tous les ambitieux, tous les arrivistes, tous les politiciens ne manquent pas d’exploiter le mot de fraternité en le faisant sonner dans leurs discours en même temps que d’autres grands mots qui font encore vibrer le cœur du peuple, mais hélas, si l’idée de fraternité, ainsi que celles de liberté et d’égalité, a toujours représenté les aspirations du peuple opprimé, si ces trois mots ont pu définir l’idéal révolutionnaire des sans-culottes de 1793, ils sont encore loin, très loin d’être réalisés dans la vie sociale. Il faut avoir toute l’astuce et la fourberie d’un politicien pour parler au peuple de fraternité, lorsque l’on admet que de gros magnats de l’industrie ou de la finance possèdent à quelques-uns ce qui est nécessaire à tous pour vivre, qu’ils puissent de la sorte disposer de la vie même de leurs semblables ; lorsqu’on admet que les uns crèvent de misère, de privations, à côté d’autres qui disposent pour eux seuls de quoi faire le bonheur de milliers de déshérités. Peut-on parler de fraternité lorsqu’on réclame et fabrique des lois pour faire mettre en prison tous ses malheureux frères qui, las de souffrir de la misère, cherchent à arracher un morceau de pain à ceux qui les ont dépouillés, lorsqu’on fait des lois plus spécialement terribles pour ceux qui veulent changer un régime qui incarne ces monstruosités sociales ?

Pour qu’il y ait fraternité au sein de la société humaine, il faut que tous ses membres trouvent les mêmes possibilités de vivre suivant leurs aspirations, il faut qu’il y ait égalité (Voir ce mot). Comme la société actuelle est divisée en classes perpétuellement en lutte les unes contre les autres, la fraternité n’y a point de place. Le mot peut être écrit, avec ceux de liberté et d’égalité, sur les murs des prisons et des casernes, ainsi que sur les pièces de monnaie, cela n’empêchera pas les déchirements entre les hommes, dans une société remplie d’iniquités.

En voyant le mot de fraternité galvaudé et sali par tant de coquins, les anarchistes peuvent avoir une certaine tendance à le leur laisser pour compte et à lui préférer celui de solidarité qui, en ayant un caractère moins intime, peut mieux se prêter à une plus grande extension et avoir une portée plus humaine, après tout.

Mais il n’empêche que les idées anarchistes sont les seules qui soient véritablement imbues du sentiment de fraternité. L’anarchiste se reconnaît, se sent le frère de tous ceux qui souffrent, peinent et gémissent, qui sont écrasés sous le fardeau de l’exploitation et de la servitude. Il veut leur redonner de la dignité, de la volonté, de l’énergie pour briser leurs chaînes et se libérer, pour conquérir une vie heureuse Par contre, il peut sembler anormal, répugnant à des anarchistes, de traiter de frères les exploiteurs, les gouvernements, les policiers, les magistrats, les politiciens, les financiers, mais cela n’a rien pourtant qui soit contraire à nos idées. Si l’on est prêt à aider un frère dans la misère, à porter le fardeau d’un frère qui peine, on doit être prêt à combattre le frère qui vous dépouille, qui vous trompe, qui vous torture, qui vous écrase, qui vous tue. On ne conçoit pas qu’entre frères, les uns accaparent tout le patrimoine et que les autres soient dépossédés ; que les uns commandent et que les autres obéissent. Entre frères, on veut avoir les mêmes droits au bien-être et à la liberté. Entre frères, on veut être égaux, et les anarchistes veulent l’égalité dans la société. Que les membres des classes opprimées considèrent les membres des classes dominantes comme leurs frères au lieu de les considérer comme leurs maîtres et leurs protecteurs ; qu’ils leur disent : « Oui, nous sommes frères, et, pour cette raison, nous voulons, comme vous, goûter les douceurs de l’existence, nous voulons que, comme nous, vous travailliez à produire ce qui est utile à la vie, nous

voulons partager les plaisirs et les peines, les joies et les souffrances ! » Qu’ils tiennent et appliquent ce langage et le régime d’oppression sociale aura vécu ! C’est alors que, suivant l’expression d’Etiévant, l’énigme : Liberté, Égalité, Fraternité, posée par le sphinx de la Révolution, étant résolue, ce sera l’anarchie. — E. Cotte.

FRATERNITÉ n. f. Lien qui unit les enfants de même père ou mère. Figuré : Union intime, solidarité entre les hommes, entre les membres d’une société. Pris dans ce dernier sens : Fraternité est un de ces mots creux qui résonnent délicieusement au cœur des hommes et dont se masquent hypocritement gouvernants, prêtres et riches, pour maintenir dans l’asservissement le prolétaire en lui suggérant qu’il est le frère de la grande famille ( ?) qu’est la Patrie.

C’est au nom de la Fraternité qu’il travaille et est dépouillé du produit de son effort ; au nom, de la Fraternité, qu’il tue l’autre gueux.

« Fraternité ! dit Proudhon, frère tant qu’il vous plaira, pourvu que je sois le grand frère et vous le petit ; pourvu que la société, notre mère commune, honore ma progéniture et mes services en doublant ma portion… Vainement vous me parlez de fraternité et d’amour ; je reste convaincu que vous ne m’aimez guère et je sais très bien que je ne vous aime pas ».

Liberté, Égalité, Fraternité : trilogie sublime que ne réalisera véritablement qu’une société où l’intérêt de tous sera identique à l’intérêt de chacun. Alors, sans doute, bien de doux sentiments pourront éclore sans se heurter constamment à la cruelle réalité du combat pour l’existence…

… Quand les hommes ne seront plus des loups pour les hommes… — A. Lapeyre.


FRAUDE n. f. (du latin fraus, au génitif : frausdis). Action de frauder, de tromper, de frustrer, d’induire en erreur.

Bien que réprimée par la loi — bien faiblement du reste, lorsqu’elle s’exerce sur une grande échelle — la fraude n’en est pas moins un des caractères essentiels du commerce. Tromper sur la valeur d’une marchandise, falsifier les produits livrés à la consommation est de pratique courante dans toute transaction commerciale, le commerce n’étant en réalité que le vol organisé et protégé par la loi. Afin de se procurer ou d’augmenter la somme de ses bénéfices, le commerçant — et en général à quelque catégorie qu’il appartienne — fraude sur tous les articles qu’il livre à la consommation et même les denrées alimentaires n’échappent pas à cette pratique criminelle. On fraude sur le lait, sur le vin, sur la viande, sur tout ce qui ne permet pas d’être contrôlé directement par l’acheteur, et c’est ainsi que le marché est envahi par du lait coupé d’eau, par de la viande avariée, par des objets falsifiés, dont l’espèce, l’origine, la qualité ou la quantité sont mensongères.

Nous disons que la répression ne peut rien contre un tel état de chose, car la qualité primordiale du commerçant est de savoir mentir ; de savoir voler, de savoir frauder. L’expérience, du reste, démontre suffisamment l’inopérance de la loi en la matière et, d’autre part, on peut ajouter que si, apparemment, le législateur a fait montre d’une certaine inquiétude en ce qui concerne la fraude et qu’auprès de certains ministères — tel celui de l’Agriculture — fonctionne un « Service de Répression des fraudes », en réalité la magistrature et les tribunaux se rendent ordinairement complices de la fraude. L’indulgence des juges, envers les fraudeurs de haute envergure, permet aux infractions à la loi de se multiplier, et il est par exemple de notoriété publique que pas un fournisseur aux armées n’hésite à livrer des produits de qualité douteuse avec la certitude de l’impunité.

La fraude n’est véritablement réprimée que lorsque