2o L’éducation involontaire par les choses et les individus — l’exemple que nous avons donné du rôle du langage permet de comprendre que cette éducation qui agit surtout dans les premières années de l’enfant est plus importante qu’on ne le pense d’ordinaire, d’où le devoir pour les parents d’être plus circonspects en ce qui peut agir sur le développement de leurs enfants ;
3o L’éducation proprement dite, ou action systématique des adultes sur d’autres individus (d’âge variable mais généralement plus jeunes) en vue de modifier ces derniers ;
4o L’auto-éducation volontaire (l’individu à éduquer étant son propre éducateur) qui ne s’applique évidemment pas aux tout jeunes enfants.
Éducation et milieu. — Les imperfections sociales et individuelles ont, de tout temps, entraîné certaines catégories d’individus à rechercher les moyens les plus efficaces de réaliser un progrès individuel ou social. Fallait-il changer les individus pour rendre le milieu plus parfait où fallait-il changer le milieu pour améliorer les individualités ? Devions-nous être des éducateurs ou des révolutionnaires ?
Dès que l’on aborde ces problèmes, il convient tout d’abord d’examiner ce qu’est l’éducation proprement dite et les limites des possibilités éducatives.
« L’éducation, dit Maurice Imbart, est la formation des esprits ; elle a pour but d’améliorer les mœurs, les caractères, la conduite ultérieure des individus ». Un autre auteur déclare qu’elle « consiste à enseigner à l’enfant l’usage normal et le soin de son corps ». D’autres se bornent à opposer éducation et instruction. « Le rôle du professeur, écrit Louis Prat, est d’enseigner les vérités qu’il sait ou qu’il croit savoir ; le rôle de l’éducateur est d’expliquer aux élèves l’usage qu’ils feront plus tard, dans la vie, des vérités qu’ils ont apprises ».
Ces définitions et beaucoup d’autres que nous pourrions citer ont le tort d’être incomplètes, celles de M. Imbart et de M. Prat négligent évidemment les points de vue hygiénique et physiologique auxquels se borne la deuxième des définitions citées.
Nous avons déjà dit que l’éducation était un effort des éducateurs en vue de modifier des individus. Ceci veut dire qu’aux yeux des éducateurs les individus soumis à l’éducation sont des produits imparfaits de l’hérédité et du milieu, soit que leur corps soit débile, soit que leur intelligence soit médiocre, au moins par quelque côté, soit que certaines de leurs tendances soient indésirables ou que désirables elles aient besoin d’être stimulées ; c’est donc le développement entier des individus sur lequel doivent porter les modifications : développement mental (intellectuel, affectif et volitif) et développement physique. L’éducation a donc pour but une amélioration des individus, soit en tant qu’individus, soit comme membres d’une société, il en résulte que l’éducateur doit avoir un idéal et si j’ajoute que cet idéal ne doit pas être une chimère, qu’il doit tenir compte des possibilités, il est évident qu’il faut que l’éducateur détermine cet idéal d’après les limites que lui tracent l’hérédité et le milieu.
Reprenant la définition que nous avons donnée précédemment et la complétant nous disons donc :
L’éducation est l’intervention systématique dans le développement mental (intellectuel, affectif, volitif) et physique des individus d’après un idéal fixé en tenant compte du développement de chacun d’eux et des milieux dans lesquels ils sont placés.
Il y a dans toutes les écoles du monde des éducateurs qui, plus ou moins habilement, s’efforcent de modifier des enfants. Ces enfants sont bien différents et il
En moyenne les enfants des classes aisées sont physiquement supérieurs aux enfants des classes pauvres : ils dépassent ces derniers par la taille, le poids, le périmètre thoracique, la force musculaire, la résistance à la fatigue, la circonférence de la tête, la hauteur du front, la capacité du crâne, le poids de l’encéphale, etc. Les causes de l’infériorité physique des enfants pauvres, nous les trouvons dans la mauvaise alimentation, la mauvaise hygiène, les conditions de travail et le surmenage des femmes enceintes ; les logements insalubres, trop étroits (ou bien où vivent trop de personnes), certains soins de propreté difficiles ou impossibles à prendre. En moyenne également, les enfants riches sont intellectuellement supérieurs aux enfants des prolétaires et ceci s’explique par leur supériorité physique comme aussi par les meilleures conditions de milieu dans lesquelles ils se trouvent. De tout ceci nous pouvons déjà conclure qu’en donnant aux petits prolétaires une éducation aussi bonne que celle que reçoivent les enfants des riches on ne ferait qu’apporter un palliatif à l’inégalité sociale, que les modifications physiques et intellectuelles des déshérités limitées par l’hérédité et le milieu resteront partiellement inefficaces. Mais il s’agit aussi d’améliorations morales ; or, allez prêcher la justice aux individus lorsque l’injustice règne autour d’eux, invitez à une pudeur délicate une jeune fille élevée dans un taudis où toute la famille couche entassée.
À plus forte raison lorsque le milieu social assure, comme il le fait aujourd’hui, une meilleure éducation aux enfants des classes possédantes et dirigeantes, l’éducation donnée aux petits prolétaires reste impuissante et ne peut assurer à ceux-ci l’amélioration désirable. Les possibilités éducatives ne sont pas moins limitées par le milieu que par l’hérédité.
Le milieu social étant un obstacle au développement convenable de certains individus convient-il d’abandonner le projet de modifier les individus pour changer le milieu social et faut-il transformer ce milieu social pour pouvoir éduquer convenablement les individus.
Remarquons d’abord que ceux qui disent : Faisons d’abord la Révolution, nous ferons de l’éducation après ne nient nullement la nécessité de l’éducation, ils ne sont d’ailleurs ce qu’ils sont que parce qu’ils ont reçu une certaine éducation. Une révolution ne se fait pas sans révolutionnaires et l’individu révolutionnaire est pour une part un produit de l’Éducation.
À vrai dire, certains soutiennent qu’une toute petite minorité révolutionnaire suffit pourvu que la situation soit révolutionnaire. Pour préparer la Révolution il n’est plus guère question alors d’amener les masses à la conscience de leur servitude ; de développer en elles le désir de plus de justice ; de réfléchir à propos de l’organisation sociale : défauts de l’organisation présente, moyens d’y remédier par une organisation meilleure ; de soumettre leurs sentiments au contrôle de la raison ; de se forger un idéal individuel et un idéal social. Préparer une Révolution c’est alors : 1o s’efforcer d’augmenter le besoin de cette Révolution, donc ne pas tenter d’obtenir des réformes qui sont un replâtrage de la société actuelle mais : demander à grand fracas aux dirigeants de la société bourgeoise ce que ceux-ci ne pourraient accorder, même s’ils le voulaient (ce que les révolutionnaires eux-mêmes n’accorderaient pas aux masses si la Révolution était faite), favoriser discrètement toute action des dirigeants actuels qui aura pour résultat la baisse des salaires, le chômage, la misère ; 2o parler aux sentiments des masses, les tromper (dans leur intérêt),