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faire appel à l’égoïsme, à la haine — nous aussi nous croyons à l’utilité de faire appel à la haine mais avec cette différence toutefois que cette haine n’est que la conséquence d’un amour très vif pour un idéal : nous ne haïssons pas pour haïr mais parce que l’objet de notre haine est un obstacle à notre idéal.

Évidemment des Révolutions se sont produites qui ont été rendues possibles par l’accroissement de la misère des masses, mais quel rôle les masses ont-elles joué dans ces Révolutions ? N’ont-elles point été un instrument passionné dirigé par des révolutionnaires moins misérables ? Ces Révolutions ont-elles apporté aux masses autre chose que des désillusions ?

Certes, la misère peut amener les masses à piller les marchés, dévaster les boutiques, pendre quelques mercantis, jeter les ingénieurs à la porte des usines mais il n’y a là qu’œuvre de destruction. Une Révolution qui ne sait que détruire et se montre incapable de construire est une Révolution qui fait faillite.

Pour qu’une Révolution puisse amener des changements heureux il faut avant tout qu’une élite révolutionnaire ait préparé le monde nouveau dans les esprits et dans les cœurs. La propagande, la vraie, la seule digne de ce nom, celle qui s’efforce d’améliorer les hommes n’est donc pas chose négligeable, elle est l’Éducation qui prépare la Révolution.

La Révolution préparée nécessairement par une évolution dans les idées et les mœurs, résultant elle-même pour une grande part de l’Éducation, est limitée également par l’état du développement des individus comme aussi par les possibilités de réalisations économiques dont ils disposent. Si la vente de l’alcool a repris en Russie, c’est que les masses russes n’étaient pas mûres pour une vie plus sobre et si les ouvriers italiens avaient été capables de faire marcher les usines qu’ils avaient conquises, le sort actuel du prolétariat italien serait tout autre.

Lorsqu’une élite révolutionnaire impose aux masses un progrès qui n’a pas été préparé par l’éducation de ces masses un recul ne tarde pas à se produire et ce recul est d’autant plus important que l’éducation préalable a été insuffisante.

Les possibilités révolutionnaires se trouvent ainsi limitées par les réalisations éducatives qui ont précédé la Révolution.



Si l’on considère que l’Éducation ne peut être parfaite en un milieu social imparfait et que la création d’un milieu social parfait sans une éducation parfaite préalable est tout aussi impossible, on peut croire que la question du perfectionnement des individus et des sociétés est insoluble.

En fait ni l’Éducation, ni les Révolutions n’ont jamais permis d’atteindre la perfection individuelle et la perfection sociale.

Cependant le progrès individuel est un fait, tout comme le progrès social. L’un et l’autre sont même liés étroitement : c’est à une vie sociale plus intense que les individus doivent l’éveil puis l’accroissement des individualités et le développement des individualités est la condition du progrès social. L’individu est tout à la fois effet et cause du progrès social et réciproquement ce progrès est, lui aussi, effet et cause du progrès des individus.

Si l’on cesse de comparer ce qui est à notre idéal (individuel et social) pour le comparer à ce qui fut, on constate qu’une double série d’actions et de réactions ont eu comme résultats des progrès manifestes. Le progrès n’est pas dans l’immobilité, l’état d’équilibre est l’exception ; c’est un mouvement rythmé qui caractérise le progrès.

L’éducation ne se borne pas à préparer l’adaptation des individus à leur milieu social, elle tend à former

ces individus en vue d’un milieu social meilleur ; mais cette formation crée une désadaptation au milieu social présent qui se résout tantôt par l’évolution lente des institutions, tantôt par une Révolution.

À son tour la Révolution ne se limite pas à la création d’institutions nouvelles à la mesure de la masse des individus de son temps. Les révolutionnaires appartiennent à une élite et les institutions qu’ils créent dépassent souvent les possibilités éducatives et sont faites à la taille d’hommes plus parfaits.

Le progrès est une suite d’anticipations : tantôt celui des individus appelle un progrès social ; tantôt un progrès social provoque le progrès des individualités.

Ainsi Éducation et Révolution se complètent, un révolutionnaire conscient ne peut pas se désintéresser de l’Éducation et un bon éducateur ne peut oublier tout ce que l’Éducation doit aux Révolutions. Mais pour le progrès du développement individuel comme pour ceux du développement social est-ce l’Éducation ou la Révolution qui importe le plus ?

Pour nous la réponse n’est pas douteuse : l’Éducation est plus importante que la Révolution.

L’Éducation est utile en tous temps et en tous lieux ; la Révolution n’est qu’une crise éphémère qui permet de briser des obstacles que l’on a pu ou su écarter autrement.

Une Humanité plus civilisée aura plus encore que la nôtre besoin d’Éducation car au fur et à mesure que s’accroissent les progrès croît également l’importance de la récapitulation abrégée des progrès passés, œuvre de l’Éducation sans laquelle seraient impossibles les progrès futurs. Par contre la connaissance des lois psychologiques et sociales, comme aussi la transformation de l’égoïsme, qui se fait déjà peu à peu, permettront sans doute d’éviter les Révolutions tout comme la recherche scientifique systématiquement organisée rendra les inventions inutiles en les remplaçant par une suite de petits progrès.

N’anticipons pas trop sur un avenir encore éloigné et concluons à la nécessité présente d’une Éducation révolutionnaire pour assurer les progrès du développement individuel et du développement social.



Le but de l’Éducation. — But de l’éducation et but de la vie. — Il convient de ne pas confondre ces deux buts, le but de la vie est une conception personnelle qui dépend du jugement, des goûts, des intérêts de chacun, l’un désirera être un savant, l’autre un artiste, la plupart accorderont leur préférence à des métiers manuels, etc. ; il n’appartient pas à l’éducation de fixer ce choix. Ce serait une erreur cependant de croire que l’éducateur doit se désintéresser du problème de l’orientation professionnelle, il serait un mauvais éducateur s’il ne s’efforçait pas de faire connaître à l’individu éduqué les carrières que celui-ci peut embrasser avec quelques chances de succès, celles pour lesquelles il n’a pas les aptitudes, la santé, etc., convenables.

Si le but de la vie est quelque chose de fort variable le but de l’Éducation est par contre quelque chose de très précis. À propos du mot coéducation nous avons déjà défini notre idéal éducatif en ces termes :

« Nous voulons éduquer l’enfant pour qu’il puisse accomplir la destinée qu’il jugera la meilleure, de telle façon qu’en toute occasion il puisse juger librement de la conduite à choisir et avoir une volonté assez forte pour conformer son action à ce jugement. »

Ceci veut dire, ajoutons-nous, que nous sommes respectueux de la personnalité de chaque enfant ; que nous nous refusons à préparer des croyants d’une religion, des citoyens d’un État et des doctrinaires d’un