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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/27

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EDU
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parti. Il en résulte évidemment que notre idéal n’est pas de modeler des enfants selon l’idée que nous nous faisons d’un enfant modèle, mais d’aider à l’épanouissement de chaque individualité enfantine en tenant compte de ses intérêts et de ses capacités.

À la vérité, tout ce qui précède peut prêter à confusion pour qui confond le but à atteindre et les moyens d’y parvenir ou oublie que l’Éducation est une action de l’éducateur qui a pour résultat la modification de l’individu éduqué.

Si respectueux que nous soyons de la personnalité enfantine nous savons bien que chaque enfant a des tendances bonnes et mauvaises et qu’en définitive éduquer c’est favoriser le développement des premières — c’est-à-dire de celles qui peuvent être utiles à la réalisation de l’idéal que nous venons de définir — et étouffer ou dériver les dernières.

Enfin si nous sommes soucieux de former des hommes libres et capables de volonté, cela ne veut pas dire que les enfants doivent être les esclaves de leurs caprices et que nous devons toujours les laisser agir à leur guise. Croire ceci c’est : 1o ne pas se rendre compte de ce que sont véritablement la liberté et la volonté ; 2o ne pas savoir comment obtenir de tels résultats.

Par contre il est un point qui, nous semble-t-il, ne peut prêter à nulle équivoque ; l’Éducation est faite dans l’intérêt de l’éduqué et non dans celui de l’éducateur.

C’est dire que ce dernier doit d’abord s’efforcer de ne pas nuire. S’efforcer de ne pas nuire paraît évident et facile, en réalité lorsqu’on y regarde de près on constate bien souvent des effets nuisibles de l’Éducation donnée aux enfants ; ordres mal à propos, études inutiles ou prématurées ou surmenant les enfants, etc…

Le but de l’éducation et le développement de l’individu. — L’enfant n’est pas un homme en plus petit, il est aisé de voir par exemple que les proportions des différentes parties du corps sont bien différentes suivant qu’il s’agit d’un adulte ou d’un jeune enfant ; ce dernier a proportionnellement une tête beaucoup plus grosse et des jambes beaucoup plus courtes. Mentalement les différences ne sont pas moindres, c’est un fait connu que chaque âge a ses plaisirs et il est évident que les intérêts varient aussi selon les sexes.

L’enfant ne devient un adulte qu’à la suite d’une série de crises, comparables jusqu’à un certain point aux métamorphoses des insectes. Physiquement, il subit une série de crises de croissance entre lesquelles l’accroissement de sa taille et de son poids subit des arrêts ou ne se fait qu’à une allure beaucoup plus lente. La dernière de ces crises surtout est importante : c’est alors que se produit l’éclosion des fonctions sexuelles, et de grosses modifications dans le caractère. Cette période, à laquelle on a donné le nom de puberté, étant bien connue, nous n’insistons pas.

Non seulement le développement physique varie suivant les sexes mais il varie également suivant les individus.

Le développement mental a lui aussi ses crises de croissance et ses variations dont l’étude pourra être faite à propos du mot enfant.

Ce que nous voulons maintenant c’est montrer que l’enfant n’est pas un adulte en miniature, que les enfants diffèrent selon les âges et les sexes et qu’enfin il est des différences individuelles considérables.

Il en résulte évidemment qu’une bonne éducation ne doit pas traiter les enfants comme des adultes, qu’elle doit présenter des étapes correspondant aux étapes de leur développement et enfin qu’elle doit être aussi différenciée que le sont les enfants eux-mêmes.

But de l’éducation et développement physique. — Pour que l’enfant puisse se développer moralement

et intellectuellement il faut qu’il soit en bonne santé physique.

Meumann écrit : « Il n’existe pas de limite entre le travail physique et le travail spirituel ; tout travail physique est en même temps un travail spirituel… tout travail spirituel est en même temps physique. »

V. Rasmussen qui rapporte cette citation ajoute plus loin : « Les nombreuses expériences faites sur les enfants démontrent l’importance qu’a pour le développement intellectuel le développement physique. M. Stanley Hall dit ainsi dans « Adolescence » p. 37 : « La plupart du temps, les enfants qui travaillent avec le plus de succès en classe sont ceux dont les mesures de tour de poitrine et de tête sont plus élevées que celles des enfants dont les progrès sont moindres » et M. Meumann dit dans l’ouvrage cité ci-dessus, p. 52 : « L’enfant qui est insuffisamment nourri et qui est arriéré au point de vue du développement physique fournit, en général, un travail intellectuel moindre que l’enfant bien nourri et bien développé, et il semble être moins bien doué qu’il ne l’est réellement. »

L’accord qui règne à ce sujet, au moins en théorie, nous permet d’être brefs. Il faut préparer des hommes forts, souples et sains mais non des étalons de force et de vitesse ». En conséquence le développement physique ne doit pas être sacrifié à la culture intellectuelle.

But de l’éducation et développement mental. — Une question préalable se pose à nous : qui importe le plus des développements intellectuel, affectif et volitif ?

Il serait sans doute exact de répondre que ce qui importe c’est un développement harmonieux de tout l’individu. Un pédagogue américain a écrit : « Développez exclusivement l’intelligence de l’enfant, il deviendra un être sans cœur ; ne développez que son cœur, il deviendra un fanatique religieux ; ne développez que son corps, il sera un monstre ; ne formez que sa main, il deviendra une machine. L’école de demain doit donner une éducation universelle. »

Cependant une telle réponse ne tient pas assez compte de ce qui manque le plus aux hommes d’à présent du développement mental de l’enfant et de l’importance des divers développements intellectuel, affectif et volitif chez l’adulte.

Il n’est pas besoin de nous reporter à un siècle en arrière et nous pouvons faire appel à nos propres souvenirs pour constater l’immense progrès matériel qui s’est produit dans le monde, la T.S.F., l’aviation, l’automobilisme, la modeste bicyclette même sont des conquêtes récentes et pourtant combien généralisées.

Par contre le progrès moral est presque nul, la grosse masse des prolétaires s’empresse de singer la classe bourgeoise en ce qu’elle a de pis ; on se serre la ceinture pour aller au cinéma, se payer une toilette chic, etc…

Si, cessant d’observer la vie sociale, nous nous efforçons de rechercher les mobiles des actions de chaque individu, nous constatons sans peine la grande importance des sentiments. C’est dans la sphère affective du cerveau, dit Piéron, que se coordonne l’unité biologique de l’organisme et c’est cette sphère affective qui régit l’activité mentale supérieure. Ce sont nos sentiments et nos tendances qui dirigent notre attention, notre logique est toujours affective : « une suite de raisonnements, c’est-à-dire une pensée véritable, est toujours régie par des tendances ».

Sentiments, intérêts, tendances, constituent le moteur de notre activité. J’aurais beau avoir réfléchi sur toutes ces questions éducatives, je ne m’efforcerais évidemment pas de faire connaître mes idées sur la question, si je n’avais le désir de voir donner une éducation meilleure. Je pourrais en d’autres circonstances écrire : par orgueil pour voir ma prose imprimée dans un ou-