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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/268

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GRE
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déclenchée par tous les ouvriers d’une localité, d’une région, d’une industrie, d’un pays, de tous les pays, pour appuyer l’action qui se déroule dans l’un de ces cadres et qui intéressent un ou plusieurs métiers, une ou plusieurs industries, un ou plusieurs pays.

La pression exercée par les autres ouvriers pour amener le triomphe de leurs camarades engagés dans la lutte a généralement pour but de hâter la fin d’un conflit ou de démontrer au patronat intéressé, que tous les ouvriers sont décidés à lutter aux côtés de leurs frères des métiers, industries, régions ou pays en conflit.

Les grèves de solidarité sont le plus souvent limitées 24 ou 48 heures. Elles peuvent, cependant, être illimitées et ne prendre fin qu’avec le conflit initial.

Grève de protestation — La grève de protestation a pour but de protester contre un acte arbitraire, une injustice, une iniquité du pouvoir ou du patronat, contre une mesure draconienne ou une menace dangereuse dirigée contre une partie de la classe ouvrière ou contre cette classe tout entière.

Comme la grève de solidarité, la grève de protestation est généralement limitée à 24 ou 48 heures.

De même, elle peut être locale, régionale, nationale ou internationale.

Grève industrielle et interindustrielle. — Prolongement normal de la grève professionnelle de métier, la grève industrielle est relativement récente. Elle est devenue une nécessité par suite de la transformation des entreprises patronales.

En effet, sauf en ce qui concerne la petite et la moyenne industrie, les entreprises patronales de nos jours affectent la forme de firmes à succursales multiples tant pour l’extraction, la transformation que pour la vente.

C’est ainsi qu’une entreprise a des établissements dans toutes les régions qui dépendent d’un Conseil d’administration unique.

Cette nouvelle organisation de la production a nécessairement eu pour conséquences d’élargir, dans une même proportion, les conflits entre les ouvriers et les patrons. Les uns et les autres, obéissant à la loi d’association, défendent leurs intérêts au moyen de syndicats, qui sont à la fois des organismes de défense et d’attaque sur le terrain local, régional et national, dans le cadre industriel.

Il n’est pas rare que le patronat esquisse une bataille dans le Nord pour lutter dans le Nord, pour tenter de battre les ouvriers du Sud-Ouest ou de l’Est, et vice-versa. De leur côté, les ouvriers sont forcément obligés de pratiquer la même tactique.

Pour être victorieuse, la grève industrielle doit être sérieusement organisée par les Fédérations d’industrie et leurs Régions industrielles. C’est une grève de statistiques, de renseignements, autant que d’habileté et de cohésion !

Il faut, pour lutter avec chances de succès, qu’une Fédération connaisse l’ensemble des Firmes qui composent l’industrie, ainsi que toutes les filiales que ces firmes possèdent sur tout le territoire d’un pays.

Le temps n’est pas éloigné, s’il n’est déjà révolu, où les luttes sociales ne se livreront plus que sur le terrain international.

En effet, de même que l’industrie a éliminé le métier et donné aux conflits un caractère national, le cartel et le trust élimineront l’industrie. Et les ouvriers de Brest, par exemple, pourront avoir leur sort lié avec ceux de Varsovie ou de Hambourg, dans une même industrie et plus étroitement que les ouvriers d’une même région exerçant des métiers différents.

De toute évidence, une telle évolution du capitalisme, qui lui permet de faire effectuer ses commandes à tel ou tel endroit, si tel autre est en grève, — et sans que

les ouvriers le sachent, — a complètement bouleversé toute la tactique des grèves employée jusqu’à ce jour.

De même qu’il faudra — qu’il faut déjà — envisager l’arrêt des entreprises d’une façon différente en paralysant la production par l’abandon du travail par les seuls ouvriers qualifiés et en laissant au compte du patron tout le personnel non qualifié, il faudra aussi envisager la lutte nationale et internationale contre le cartel et le trust.

La première condition du succès sera de connaître la composition exacte de ce cartel ou de ce trust, afin de faire porter l’action partout et, en premier lieu sur son entreprise de base, puis de grande transformation et, en dernier lieu, sur les firmes de finissage et de vente.

Une telle conception de la grève s’appliquera parfois sur des bases régionales ; d’autres fois, sur des régions voisines ou très éloignées l’une de l’autre ; parfois en des pays différents.

Dans tous les cas, le but essentiel à atteindre doit être double :

1o Paralyser complètement l’entreprise (cartel ou trust) dans toutes ses parties, par l’arrêt du travail effectué par les ouvriers qualifiés qui constituent l’armature du système patronal ;

2o Laisser à sa charge les frais les plus élevés possibles en ne débauchant pas les ouvriers et le personnel qui ne peuvent travailler et produire sans le concours des ouvriers et du personnel qualifiés.

Cette tactique nouvelle, que l’expérience seule permettra de mettre au point, suppose que les Fédérations internationales fonctionneront réellement et seront en mesure de renseigner les industries intéressées dans chaque pays et de coordonner l’action des Fédérations nationales.

C’est donc une véritable révolution qu’il faut effectuer en matière de grèves industrielles et inter-industrielles.

Avec les trusts en largeur, la tactique pourra être celle que j’expose ci-dessus. Avec les trusts en profondeur, c’est-à-dire avec les groupements de plusieurs industries différentes mais dépendant l’une de l’autre, qui vont souvent depuis le minerai jusqu’à la presse et la banque, il sera encore plus difficile d’organiser la lutte et une étude toute particulière de la question doit être, dès maintenant, envisagée par les organisations ouvrières.

Un adversaire de cette taille sera presque insaisissable et invulnérable, si on ne tonnait pas, dans toutes ses parties, son organisation, son fonctionnement et son point faible.

On voit par là, quelle besogne gigantesque incombe aux Fédérations nationales et internationales d’industrie.

Tant qu’elle ne sera pas menée à bien, toute méthode ne sera qu’empirique et tout succès demeurera problématique, presque impossible.

La grève industrielle peut se transformer en grève générale et englober toutes les industries d’un pays et s’étendre, même, à plusieurs pays.

Jusqu’à ce jour, ces grèves se sont, cependant, limitées à un seul pays, mais il n’est pas douteux que la forme nouvelle que prend chaque jour le capitalisme en voie de concentration définitive, sous la direction de l’état-major bancaire, va obliger les ouvriers à envisager très sérieusement la nécessité de recourir à des grèves générales industrielles ou générales internationales.

Il y a là toute une étude à faire par les organisations intéressées et je ne puis, au pied levé, aborder ici un tel problème dont l’examen et les solutions demanderont des années d’efforts et de nombreuses expériences, au cours desquelles, à la lueur des faits, des tactiques se modifieront et s’élaboreront.

Les grèves, les plus importantes furent, en France :