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GUE
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mot guerre lorsqu’il n’est accompagné d’aucun qualificatif.

Remarquons qu’au sens juridique du mot, il n’y a guerre que lorsqu’il y a un état d’hostilité entre États.

Nous ne pouvons accepter cette définition, qui a notamment comme résultat de ne pas faire considérer comme guerres les actes de brigandage colonial contre des peuples non reconnus comme nations.

C’est pourquoi nous faisons remarquer que, pour nous, la guerre est l’état d’hostilité et de lutte armée entre peuples.

Notons aussi que le mot guerre est pris quelquefois dans un sens figuré et qu’il signifie alors un état d’hostilité durable entre individus ou entre petits groupes, alors même qu’aucun acte de violence ne se manifeste.

C’est par la confusion, parfois involontaire, et parfois volontaire, entre ces deux acceptions du même terme, que certains détracteurs des idées pacifistes nient la possibilité de supprimer la guerre entre les nations, tant qu’elle existera entre les individus et les familles.

Ajoutons, enfin, que le terme guerre de classe désigne soit une guerre civile, c’est-à-dire un état de discorde entre deux classes sociales d’une même population, comportant des combats à main armée, soit simplement la lutte de classes se manifestant avec un certain degré de violence.

La guerre, au sens propre du mot, c’est-à-dire le violent conflit international, est devenue aujourd’hui le pire des fléaux, dépassant considérablement en horreur toutes les formes de guerres aux sens dérivés ou figurés.

Une nouvelle grande guerre européenne, avec les moyens nouveaux de destruction (gaz asphyxiants, microbes, tanks, avions, canons géants à longue portée), pourrait causer la mort de 80 millions d’êtres humains et entraîner la ruine de notre civilisation.

En face de la guerre, trois attitudes morales sont possibles.

La première tend à justifier la guerre en général, la prétendant moralisante et bienfaisante.

M. de Vogüé écrivait, à la fin du dernier siècle : « Je crois, avec Darwin, que la lutte violente est une loi de nature qui régit tous les êtres ; je crois, avec Joseph de Maistre, que c’est une loi divine ; deux façons différentes de nommer la même chose. Si, par impossible, une fraction de la société humaine — mettons tout l’Occident civilisé — parvenait à suspendre l’effet de cette loi, des races plus instinctives se chargeraient de l’appliquer contre nous : ces races donneraient raison à la nature contre la raison humaine ; elles réussiraient, parce que la certitude de la paix — je ne dis pas la paix, je dis la certitude de la paix — engendrerait avant un demi-siècle une corruption et une décadence plus destructives de l’homme que la pire des guerres. J’estime qu’il faut faire pour la guerre, loi criminelle de l’humanité, ce que nous devons faire pour toutes nos lois criminelles : les adoucir, en rendre l’application aussi rare que possible, tendre tous nos efforts à ce qu’elles soient inutiles. Mais toute l’expérience de l’Histoire nous enseigne qu’on ne pourra les supprimer, tant qu’il restera sur la terre deux hommes et du pain, de l’argent, et une femme entre eux. »

Rares sont ceux qui osent soutenir de telles idées sous une forme aussi accentuée, depuis la guerre de 1914, qui a montré expérimentalement le caractère profondément démoralisant des boucheries humaines, ce que les autres guerres, plus courtes, avaient moins fait ressortir.

Aujourd’hui même, les nationalistes prétendent considérer la guerre comme un mal, mais employer, pour l’éviter, de meilleurs moyens que les pacifistes.

La deuxième attitude morale, est celle qui condamne certaines guerres et en admet d’autres :

a) La théologie catholique distinguait entre les guerres justes et les guerres injustes.

Selon saint Augustin, « on a coutume d’appeler guerre juste, celle qui a pour but de venger des injustices, lorsqu’il faut châtier une ville ou une nation qui n’a pas voulu punir une mauvaise action commise par les siens, ou restituer ce qui a été pris injustement ».

b) Le mouvement pacifiste d’avant-guerre proclamait que les nations n’ont pas le droit, plus que les individus, de se faire justice elles-mêmes, mais affirmaient leur droit de légitime défense. C’est aussi l’idée d’une très grande partie des socialistes et des démocrates.

En conformité avec ces derniers principes, l’assemblée des délégués de la Société des Nations de 1927 a proclamé que toute guerre d’agression était un crime.

c) Les communistes et certains socialistes révolutionnaires condamnent les guerres de défense en régime capitaliste, mais acceptent de prendre les armes pour défendre un régime prolétarien. Ils admettent aussi les guerres de libération de populations coloniales opprimées par les impérialismes.

La troisième attitude morale consiste à condamner toute guerre, quels que soient son but et son motif, à proclamer que tous les combats meurtriers sont criminels.

Ceux qui pensent ainsi sont aujourd’hui de plus en plus nombreux. En France, notamment, une évolution importante s’est produite depuis la grande guerre.

Autrefois, seuls étaient intégralement antimilitaristes les anarchistes, certains socialistes révolutionnaires antipatriotes, et quelques rares chrétiens tolstoïens, interprétant selon leur lettre les principes évangéliques.

Aujourd’hui, on trouve des démocrates, des socialistes réformistes, qui sans nier la nécessité et l’importance de l’indépendance nationale, n’admettent plus la guerre comme moyen de la défendre ; ils considèrent qu’à présent, les guerres défensives causent au peuple même qui se défend, un préjudice plus grand que celui qu’elles ont pour but d’éviter. De plus, l’expérience de la dernière guerre a également confirmé la difficulté de reconnaître l’agresseur et de départager les responsabilités au moment même où se déchaîne le conflit.

Nous affirmons qu’il est possible de supprimer les guerres, mais nous considérerions comme chimérique d’espérer, à bref délai, l’universalisation du refus de combattre, malgré l’évolution que nous signalons plus haut. La nécessité s’impose donc d’apporter des solutions positives au problème de l’organisation de la paix ; ces solutions, en tant qu’elles comportent le désarmement des États et la Fédération des Peuples, doivent avoir toute la sympathie des adversaires de l’autorité, puisqu’elles enlèveront aux pouvoirs nationaux une grande partie de leurs moyens d’oppression.

Tout transfert de souveraineté du national à l’international doit être approuvé, même par ceux dont l’idéal est l’abolition de toute souveraineté.

Pour rendre les guerres impossibles, les uns disent qu’il suffit d’obliger les nations à soumettre leurs conflits à un règlement juridique ; les autres disent qu’il faut supprimer complètement toutes les causes de conflit. Nous croyons que c’est à une solution moyenne qu’il faut tendre.

Rendre obligatoire la soumission de tous les différends entre nations à un arbitrage et enlever aux États le moyen de se faire justice eux-mêmes, constituerait, certes, un grand progrès ; mais la vraie paix devra être surtout fondée, non sur la force, même pas celle d’une puissance internationale, mais sur l’apaisement et le consentement. La garantie suprême du désarmement matériel, ce sera le désarmement moral, et celui-ci ne pourra être complet que lorsque, par l’organisation de la solidarité politique et économique des peuples, les causes essentielles des conflits auront disparu.