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où s’enlise la vie ; tout le faisceau des respects et des acquiescements, des provisoires stabilisés, des institutions crispées aux vertus de l’usage ; habitudes à l’infini ramifiées auxquelles la loi du moindre effort, la passivité, l’ignorance, la lâcheté font une haie d’honneur valeureuse, accordent les prérogatives dangereuses de la prime nature… Que ce soit dans la famille, dans la rue, partout dans la société, à chaque pas dans la vie, qu’elles étranglent l’enfance, ligotent les adultes, enterrent les cadavres ; qu’il s’agisse du savoir, du travail ou de l’amour, des figures les plus pures de la joie ; qu’intervienne l’éducation, l’intérêt, les rouages emprisonnants de l’économie domestique et sociale ; qu’elles traînent à grand fracas la croix des dieux défunts ou qu’elles brandissent les parchemins de la propriété ou les tables de la loi, les habitudes aux mille chaînes, à nos corps enlacées comme des pieuvres, harcèlent sans merci les novateurs et nous font payer durement l’acquis du passé. — Stephen Mac Say.

Ouvrages a consulter. — Ravaisson : De l’habitude ; Maine de Biran : Influence de l’habitude sur la faculté de penser ; Albert Lemoine : L’habitude et l’instinct ; Malebranche : Recherche de la vérité (liv. II) ; Dumont : Revue philosophique (t. I) ; Rabier : Leçons de psychologie (chap. XLI) ; Ribot : l’hérédité ; Boirac : Philosophie ; Guyau : Hérédité en éducation ; G. Tarde : Les lois de l’imitation ; A. Bain : La science de l’éducation, etc.


HARMONIE n. f. (du grec Harmonia, arrangement). Concours ou suite de sons. Science des accords. L’harmonie est la base fondamentale de la musique. (Voir ce mot).

Au sens figuré, s’emploie pour symboliser l’accord parfait d’un tout : harmonie de l’Univers.

Fourrier entrevoyait la possibilité d’un état social dans lequel le bonheur et l’accord règneraient. Il dénommait cet état social : harmonie.

Les anarchistes pensent qu’au lendemain d’une transformation sociale, l’harmonie pourrait régner entre les humains. On les traite souvent d’utopistes. Néanmoins, il est certain que si les causes principales de dissensions, d’envie, de jalousie, de haine même, disparaissaient, les hommes en viendraient tout naturellement à pratiquer la grande loi d’entraide que Kropotkine a magistralement exposée dans son ouvrage, malheureusement introuvable aujourd’hui : L’Entraide, base de toute société.

De fait, c’est bien la propriété, créant la monstrueuse inégalité sociale, qui fait naître, au cœur des parias, l’envie à l’égard de ceux qui possèdent. C’est bien la pitoyable éducation, pleine d’erreurs et de préjugés, qui fait des jaloux, des haineux. C’est la misère qui rend le cœur des miséreux ulcéré et méchant.

L’Anarchisme (voir ce mot), en résolvant le problème social, en supprimant les causes d’antagonisme, amènera chaque jour un peu plus d’harmonie entre les hommes.

La littérature anarchiste en donne de multiples et irréfutables preuves.


HASARD n. m. Au mot Axiome, nous avons esquissé la théorie philosophique ou notre théorie philosophique du hasard. Le hasard est la coïncidence ou l’identité de deux effets dont les causes n’ont pas été calculées pour produire cette coïncidence ou cette identité.

La chance réside dans le fait que l’événement dont nous ne pouvons ni calculer ni supputer les causes se produise ou ne se produise pas. Si nous avions la connaissance complète des causes, nous saurions avec certitude qu’il doit ou non se produire.

Ces études sont importantes, car elles peuvent influencer la conduite de notre vie. Le pilote doit connaître les

eaux dans lesquelles il navigue, les courants qui s’y dessinent, et les fonds sur lesquels il passe, pour assurer à sa barque son tirant d’eau. L’analyse du hasard nous amène à l’analyse de la probabilité.

Un orage éclate : je me réfugie sous un chêne. La foudre le frappe : j’ai le bras paralysé. Voilà un événement, pour moi du moins, c’est même un sinistre. Il est venu d’une coïncidence : ma présence sous l’arbre au moment précis où la disposition des nuages et leur choc a fait jaillir dans ma direction l’éclair. La nature indifférente, pour laquelle mon accident ne compte guère, n’a pas calculé ses coups pour m’atteindre, je ne les ai pas calculés pour les prévoir et les éviter. Je suis foudroyé : c’est l’effet du hasard.

Pourtant, j’aurais dû me souvenir que les pointes et les cimes, même celles des arbres, attiraient, comme on le dit vulgairement, le tonnerre. Cette cause connue, le hasard décroît. Si mon ignorance des autres causes était progressivement éliminée, l’événement possible deviendrait probable et pourrait même s’annoncer comme certain.

Un comité, réuni le 15 janvier, décide de donner, dans le cours de l’année, une grande fête avec cavalcade, joutes sur l’eau, illuminations et feux d’artifice. Quelle date choisir ? Le 15 avril ou le 25 juillet ?

Si ce comité, par hypothèse, n’avait aucune donnée quant au régime des saisons, il se tiendrait ce raisonnement : il y a autant de chances pour que notre fête coïncide à une date ou à une autre avec un jour de beau temps. Et cependant, au moment où le comité délibère, la question est déjà résolue par l’univers.

L’état de l’atmosphère et la température ne dépendent pas d’un caprice accordé aux éléments ou permis aux dieux, mais de la translation terrestre, des courants magnétiques qui affectent notre planète, de l’influence qu’exercent sur elle le soleil, volcan de rayons, ou la nébuleuse, foyer de rayons X. Ces causes s’enchaînent et déduisent les uns des autres leurs anneaux. Au moment où le comité délibère, le résultat final est acquis. La chance du beau ou du mauvais temps n’existe que par rapport aux votants, dont la décision constitue un pari, car ils ne peuvent établir l’équation qui donnerait immédiatement la valeur de l’inconnue.

Mais le comité qui s’est réuni en hiver n’ignore pas qu’en été la terre est davantage favorisée par les rayons du soleil, que les vicissitudes du vent y sont plus stables et la probabilité se dessine en faveur du 25 juillet. La connaissance des causes qui peuvent produire le beau temps a diminué le hasard. La probabilité croîtra, si les vents sont stables, aux abords du jour fixé.

Beaucoup de nos contemporains font sur les hippodromes — triste école ! — l’apprentissage des principes qui sont les règles élémentaires du hasard.

Un ami m’amène sur le champ de courses et je suis invité à parier. Deux chevaux se présentent dans l’épreuve : Pigeon bleu et Canard mauve. Je ne les connais ni l’un ni l’autre. J’ai autant de chance à miser sur l’un que sur l’autre, car je n’ai aucune raison, aucun moyen de choisir entre eux. Mais les initiés savent que Pigeon bleu est un as, tandis que Canard mauve est un veau. C’est bien, n’est-il pas vrai, l’argot du lieu ?

Pour les initiés donc, pour ceux qui peuvent calculer les causes de l’événement, la chance de voir gagner Pigeon bleu n’est pas égale à la chance de voir gagner Canard mauve, et la probabilité du premier événement surpasse celle du second. Elle atteindrait même à la certitude sans la « glorieuse incertitude du turf », car l’as peut se croiser les jambes en prenant mal le tournant et tomber, tandis que le veau franchira comme une antilope le winning-post, dans un fauteuil. Matché avec Rossinante, l’âne de Sancho conserverait encore une chance, Rossinante nourrie de rêve, pouvant flageoler sur ses jambes et s’affaler avant l’arrivée. Ana-