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lysons cette course sensationnelle ; l’événement envisagé c’est la coïncidence de la victoire avec la désignation du parieur ; les conditions de la victoire sont la supériorité de l’animal et la constance des conditions matérielles qui assurent la régularité de la course. Ces causes connues et calculées, notre ignorance est très déblayée. Nous arriverions à la certitude, — c’est encore un mot du turf —, mais il reste un élément d’inconnu ; nous ne pouvons savoir exactement quel effort musculaire produira le cheval, quel parcours, à un millimètre près, il fera sur la piste, et si sa déviation légère ou son élan rectiligne ne l’amèneront pas en contact avec un caillou dont nous ignorons l’existence et qui produira la chute. Cette marge d’incertitude suffit au hasard ; si toutes les causes étaient connues, les effets seraient discernés et le hasard n’existerait pas.

On voit par là que la probabilité est plus ou moins grande, qu’elle présente une quantité, que les chances sont plus ou moins multiples et peuvent s’exprimer par un nombre. Le hasard a son arithmétique : c’est le calcul des probabilités.

Le calcul des probabilités a été créé, en tant que science, au xviie siècle, par Pascal ; son ami le chevalier de Méré, disent les historiens, lui ayant demandé de résoudre certaines questions que le jeu avait fait naître. Je crois que le premier de ces différends lui avait été soumis par les joueurs eux-mêmes : il n’importe. La sagacité géniale de Pascal fut requise de s’appliquer à quelques problèmes dont voici le principal : deux joueurs d’égale force ont convenu que le gagnant serait celui qui, le premier, aurait gagné dix parties. Le tournoi se trouve interrompu, lorsque l’un des joueurs a gagné 7 parties et l’autre 8. Comment doivent être partagés les enjeux ? Tel est le problème qui a été appelé le problème des partis (style du temps), nous pouvons dire : le problème des enjeux. Pascal, pour le résoudre, supposa jouées les parties restantes, et considéra les droits des deux adversaires, selon que le premier ou le second aurait été gagnant dans les manches supprimées. Le travail auquel il se livra, l’amena à construire le tableau des chances sous la forme d’un triangle qui a été appelé le triangle arithmétique de Pascal. C’est une figure utile comme la table de multiplication et qui indique à première vue quel est le nombre de chances pour qu’un événement se réalise, quand il est soumis à des conditions multiples.

Après Pascal, des hommes de talent ou de génie s’intéressèrent à cette mathématique nouvelle : Buffon, Euler, Jacques Bernouilli, et Laplace qui lui donna son plein épanouissement, au xviiie siècle.

Nous ne saurions ici exposer le système de Laplace, auquel il n’a peut-être manqué qu’un nom plus sonore et une méthode moins claire, moins cartésienne, pour changer en gloire sa renommée. Laplace était parti d’une idée courageuse et admirable.

Il n’y a pas de certitude absolue, même dans la vérité scientifique, même dans la vérité mathématique. Nous tenons pour vrai que la terre tourne autour du soleil. Pourquoi ? Parce que nous expliquons ainsi les phénomènes cosmiques dont nous sommes les témoins et notamment celui du jour et de la nuit.

Mais les mêmes phénomènes se produiraient si, la terre étant immobile, l’univers cosmographique tournait autour d’elle. Comme l’a dit Henri Poincaré, c’est la seconde hypothèse : la première est plus commode. Il paraît absurde que l’univers puisse tourner autour de la terre : quelle vitesse vertigineuse et démente faudrait-il prêter aux sphères supérieures de l’Infini ! Et pourquoi l’Infini, avec une condescendance injustifiée, tournerait-il autour de ce microcosme qu’est notre sphéroïde, grain de café dans l’Immensité ? Mais il suffit que la seconde hypothèse soit théoriquement possible pour qu’elle limite la certitude pure comme l’hypothèse

des singes dactylographes qui, tapant à l’aventure sur cent mille claviers pendant cent mille ans, se trouveraient avoir, au cours de leurs élucubrations et par une manœuvre désordonnée, composé l’Eneide.

Laplace s’est donc proposé de démontrer la vérité scientifique par la probabilité poussée à ses extrêmes.

Le calcul des probabilités n’est pas à dédaigner. Il est pratique pour l’existence courante. C’est à lui que nous devons les assurances, car l’assurance est fondée sur la notion de chance et suppose un pari.

Comment fonctionne l’assurance ? Prenons son cas le plus simple : l’assurance simple sur la vie. Je souscris un contrat aux termes duquel mon épouse touchera 25.000 francs à mon décès : j’ai 48 ans. La Compagnie fait un calcul ; mon tableau de probabilités me permet de considérer que vous pouvez normalement mourir à 57 ans. Donc, pendant 9 ans, vous me paierez une prime. C’est en considération de cette prime que je fixe l’indemnité dont je devrai payer le montant à votre mort.

La probabilité est calculée d’après la connaissance acquise sur la durée de la vie humaine, selon des statistiques qui groupent les décédés.

Certes, si la Compagnie n’avait qu’un assuré, son calcul serait aléatoire, et son calcul valable pour la majorité des cas pourrait tomber en défaillance pour une espèce particulière. La Compagnie perdrait à son pari. Mais le calcul des probabilités démontre que la détermination des probabilités est plus certaine lorsque les cas qui ont servi à les déterminer sont plus nombreux. Les causes du décès importent moins lorsque l’on se fonde sur les causes des décès en général. Il suffit à l’intéressé de tabler sur la moyenne ; prêt à compenser une perte par un gain, il ne faut pas porter son pari sur une chance isolée, celle d’un décès nominatif, mais sur la chance globale.

Le calcul des probabilités est passionnant ; il constitue une science dont nous donnerons seulement un échantillon. Elle emprunte au jeu ses problèmes les plus frappants, car le jeu est établi sur l’idée de chance ; nous voulons parler des jeux qu’on appelle : les jeux de hasard.

Dans une urne, je dépose, hors votre vue, deux billes, l’une blanche et l’autre noire. Quelle chance avez-vous de tirer la blanche ? Le calcul des probabilités répond : une chance sur deux, c’est ce qu’on appelle une chance simple.

Remarquez que si je connaissais la position des deux boules dans l’urne, si, compte tenu de la direction que vous donnez à vos doigts pour la prise, je pouvais calculer le résultat de la manutention à laquelle vous allez vous livrer pour appréhender une boule et la ramener au jour, je pourrais, à coup sûr, vous dire avant de l’avoir vue, quelle boule vous ramenez. Le hasard n’existerait donc plus pour moi. Ce qui le produit pour vous, c’est que n’ayant aucune raison de calculer votre manipulation puisque vous manquiez d’indices, c’est-à-dire de connaissances préalables pour le faire, vous ayez accompli certains gestes plutôt que d’autres dont le résultat mécanique eût été différent.

Nous jouons à pile ou face, quelle chance avez-vous pour que la pièce retombe et s’immobilise sur l’avers ou sur le revers ? Le calcul des probabilités vous répond : une chance sur deux.

En réalité, quand la pièce est lancée, étant donné la force musculaire que vous avez employée, le mouvement libratoire ou giratoire que vous imprimé au disque métallique, et le ressaut que sa pesanteur jointe à la densité et aux aspérités du sol produira, le résultat est certain et ne peut plus rien avoir de fortuit. Le hasard tient uniquement dans la concordance de la position prise par la pièce retombée avec sa position souhaitée et préalablement invoquée et dans le fait que cette con-