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logie, ethnographie, etc. Nous frôlerons à peine ici l’homme préhistorique dont les traces fossiles apparaissent dans les formations tertiaires. Nous citerons, sans plus, l’homme quaternaire, voisin continental du renne, du mammouth, de l’ours des cavernes, du rhinocéros de Merck, etc., assez éveillé déjà pour manier, informes, l’arme et l’outil, animent des rudiments de civilisation. Nous côtoierons, avec le néolithique, les contemporains de la pierre polie, assez méthodiques et réfléchis pour substituer l’élevage prévoyant aux chasses précaires, assez industrieux pour dégrossir et aiguiser le minéral. Nous traverserons l’âge de bronze, du fer, antichambres de la période historique… Des documents grecs nous transportent cette fois vers 776 avant notre ère. Des « archives » hébraïques remontent à quarante siècles. Nous atteignons, avec les Chinois, 45 siècles, 50 avec les Égyptiens. Si l’on interroge la tradition, berceau flottant de l’histoire, elle nous entretient de faits qui se seraient passés « il y a 20.000 ans dans l’Inde, 30.000 ans en Égypte, 130.000 en Chine » !…

Ainsi, si nous sommes toujours à l’enfance de l’homme sociable, à l’évocation de l’homme « libre et fraternel », notre humanité témoigne, dans le passé, d’une prodigieuse longévité. Si vaste soit le chemin parcouru par le génie inventif des générations disparues, immense demeure la route ouverte aux réalisations — timides et comme contradictoires — qui tendent à faire de la planète un séjour « harmonieux et sain ». Et des siècles précipiteront leur implacable théorie sur nos lents et douteux « progrès »… Homo homini lupus ! Verrons-nous se réduire cet adage de malédiction et, de loup, l’homme devenir l’ami de l’homme ? Penché sur ses frères inférieurs, en paix au sein des espèces, apercevra-t-il enfin, pour son salut, leur solidarité lointaine ? En fera-t-il l’assise de ses mœurs, la trame de ses institutions ? Délivré des épuisantes luttes intestines, des alarmes de la défense et des déviations du rapt, arcbouté sur le roc de l’entraide éclairée, son demain garanti par un social intelligent, bondira-t-il d’un élan décuplé vers les conquêtes sans bornes de la sagesse et du savoir ? D’une existence végétative, harcelée d’âpres sollicitations négatives, et comme il l’ancre sur les eaux conservatrices, tournera-t-il enfin une proue d’audace lumineuse vers la vie pleine, généreuse, illimitée ?…

A travers les terres habitées du présent, bousculées par les appétits, les mêmes hommes de proie heurtent durement leurs convoitises. Et les accalmies civilisatrices sont davantage le recueillement pour les chocs amplifiés et savamment, sauvagement exterminateurs, que des quiétudes agrandies par le vouloir des hommes et des espoirs tendus vers la sécurité. Les races qui se disputent le globe n’ont pas encore refoulé en elles le « gorille », si je puis dresser sans injure les sobres et vitales batailles ancestrales de l’anthropopithèque en face des guerres canailles, atroces — et vaines en somme — du profit et de la thésaurisation. L’apalissement du teint, cette mièvre carnation, dont l’Europe s’enorgueillit comme de l’emblème de quelque supériorité, n’est pas l’indice que notre continent est, moins que les autres, sanguinaire. Chaque « tronc » (qu’il soit mongolique, caucasique, éthiopien), chaque race, qu’elle soit noire, ou jaune, ou blanche, a connu ses flambées glorieuses mais passagères et ses carnages, imbécilement destructeurs. Des tranches de « civilisation » ont couru sur l’écran du monde comme des météores. Et de leurs volcans éteints subsistent surtout des cendres d’orgueil… Égyptiens, Chinois, Perses, Grecs, Romains ont allumé, pour les assauts barbares, des feux intermittents. Et l’homme continue de passer, à travers la beauté, comme un génie dévastateur. Sa malfaisance raffinée domine les espèces, subjugue ses pareils. Si vraiment, comme disait Fénelon, « l’homme s’agite et Dieu le mène », plaignons le guide et le troupeau,

l’ilote sans boussole… et le créateur. Car il nous a donné là moins qu’ « un chef et qu’un roi », plutôt, sur une œuvre confuse, le « méchant animal » de Molière… Et laborieuse et lente est la gestation d’un « homme nouveau » qui ne soit plus, comme l’homo novus des Romains, le premier d’abord aux honneurs !…

Dans cette Encyclopédie, aux tâches mesurées malgré sen ampleur, nous trouverons cependant l’homme étudié en la plupart de ses particularités, de ses besoins, de ses aspirations. Nous verrons, çà et là dispersés, ses traits distinctifs, ses caractères spécifiques, ses facultés maîtresses, ses tares réductibles, ses promesses gagées. Il nous apparaîtra campé dans le présent (trouble mélange de soleil et de boue), projeté sur l’avenir ; espérances dépouillant leur gangue. Nous ferons appel à tout ce qu’il y a de meilleur dans ses possibilités, de plus droit dans ses aperceptions, de plus sûrement intelligent dans son humanité. En particulier l’enfant sera — on l’a vu déjà — un des objectifs de notre tâche vers l’homme meilleur et plus complet. « Faites des hommes et tout ira bien », disait Michelet. Des hommes et non des ombres, des hommes et non des marionnettes, des hommes et non des copies, des stéréotypes de l’humain. L’enfant est le chemin de l’individu, de « l’homme seul », de l’homme total cher à l’anarchisme. Et la cellule humaine sera partout, dans cet ouvrage, l’objet de notre attention et de nos méthodes averties. Et nos efforts tendront, pour la laisser s’épanouir, à la désentraver… Nous accompagnerons l’homme assidûment, de l’individuel au social, de l’éducation à l’économie, de l’éthique à la sociologie… Les sociétés révolues — à part, en un sens, cette claire Hellade — comme celles du temps (lourdes de matérialités) ont trop négligé l’homme, passif et douloureux rouage. Nous œuvrons pour le relever à son plan, qui est premier. — S. M. S.

Quelques ouvrages intéressants a consulter pour l’étude de l’Homme. — Ch. Darwin : La Descendance de l’Homme ; L’Origine des Espèces. — E. Haeckel : Histoire de la création naturelle ; Anthropogénie ou Évolution humaine. — A. Giard : Histoire du transformisme. — Delage : La Structure du protoplasma et les probl. de la biologie. — Le Dantec : Lamarckiniens et Darwiniens ; Théorie nouvelle de la vie ; Les lois naturelles ; La stabilité de la vie, etc. — Cl. Bernard : Les Phénomènes. — H. Spencer : Principes de biologie. — G. Le Bon : La Vie ; L’Homme et les Sociétés. — Kropotkine : L’Entr’aide. — Ch. Letourneau : La Biologie. — G. Mortillet : La Préhistoire. — Dr  Topinard : L’Anthropologie. — Dr  Roule : L’Embryologie générale. — Dr  Laumonier : La Physiologie. — Th. Huxley : Les Problèmes de la Biologie. — C. Flammarion : Le Monde avant l’apparition de l’Homme. — Élisée Reclus : L’Homme et la Terre. — De Quatrefages : L’Espèce humaine. — G. Piat : La personne humaine. — Schmidt : Descendance et Darwinisme. — Alf. Binet : Les altérations de la personnalité, etc.


HOMOGÈNE adj. (préfixe homo, et grec genos, race). Se dit d’un corps dont toutes les parties intégrantes sont de même nature et, par extension, d’un corps dont les parties sont solidement liées entre elles. On dit d’un groupement qu’il est homogène, quand il comporte seulement des adhérents d’une seule tendance, ou bien quand il est régi par des statuts et règlements rigides, quand la minorité doit se plier et appliquer les résolutions adoptées par la majorité, quand la Commission exécutive ou le Comité directeur impose ses vues. L’homogénéité dans un groupement est presque toujours une cause d’autorité. On pensera sans peine que les anarchistes ne peuvent pas constituer de groupements homogènes, car ils sont trop respectueux de la liberté et de l’autonomie de chacun pour penser un seul ins-