Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ILL
956

Faire appel à la simplicité dans nos rapports et dans notre manière de vivre, éviter tout appareil compliqué de l’existence, voilà la meilleure façon de supprimer l’illogique.


ILLUSION n. f. (du latin illusio ; de illudere, tromper). Erreur des sens ou de l’esprit qui fait prendre l’apparence pour la réalité. Pensée chimérique.

Le cerveau humain est un véritable laboratoire d’illusions — l’homme aime à se forger des mensonges avec lesquels il garnit son existence. On dirait qu’il a peur de contempler la vie sous son véritable jour.

Il y a des illusions collectives qui sont bien les plus néfastes et les plus préjudiciables au progrès social. Telle est l’illusion parlementaire (voir les mots : abstention, élection, parlement, etc.) qui fait que des nations entières, malgré qu’elles aient été trompées, bafouées, dupées, exploitées, saignées plusieurs fois par les hommes en qui elles avaient eu confiance, croient encore pouvoir par les élections transformer leur sort et l’améliorer. C’est particulièrement dans le peuple que cette illusion est néfaste — car elle est le frein qui l’empêche de se révolter.

Faire illusion a quelqu’un : le tromper. Exemple : les politiciens d’extrême-gauche font illusion à la classe ouvrière en se présentant comme des révolutionnaires qui cherchent à assurer le bonheur du prolétariat, alors qu’ils ne rêvent qu’à décrocher des mandats législatifs et les portefeuilles ministériels.

Perdre ses illusions à l’égard de quelqu’un : reconnaître que tel qu’on croyait intègre ou bon n’est qu’une crapule ou un méchant.

Beaucoup de gens désabusés ou enrichis qui, jadis, par snobisme ou jeunesse militaient, et qui, après position faite, se sont retirés, disent : « Oh ! j’ai perdu mes illusions ». Le mot illusion a, dans cette phrase, le sens de combativité, espoir, conviction — car l’homme qui parle ainsi ne veut que fournir une raison à sa désertion de la lutte ou à la disparition de sa foi dans l’idéal.

Mais cet homme ne fait illusion à personne, car l’on sait très bien que ses « illusions » ne furent jamais ancrées bien solidement en lui et que son égoïsme est la seule cause de sa béatitude ou de son indifférence présentes.

« Avoir perdu ses illusions » dans ce sens, c’est avoir acquis une mentalité de résigné… ou de jouisseur.


IMAGINATION n. f. Faculté de se représenter les objets par la pensée. Faculté d’inventer, de créer : on vante, par exemple, l’imagination d’un écrivain.

Chose imaginée ; idée, conception : l’imagination d’une société anarchiste, c’est-à-dire vivre, par la pensée, une société libertaire.

Au sens figuré, le mot imagination veut dire opinion sans fondement. Exemple : croire que de l’autorité peut naitre la liberté, c’est une pure imagination.

Dans la vie courante, l’imagination échafaude des faits qui n’ont pas existé et qui, cependant, sont offerts sous les auspices de la véracité. Ici intervient souvent la vanité (la sotte gloriole de faire croire qu’on a vu ou qu’on sait) ou la malfaisance (intention de nuire) parfois même, et d’autant plus souvent que le cas est plus grave, plus saisissant, la suggestion. On a vu, sous son empire, des individus, après avoir vulgarisé des récits de toute fausseté, être pris à leur propre piège et arriver à se tromper eux-mêmes à force d’entrer « dans la peau du personnage ». Parfois la part volontaire de l’imagination disparaît même totalement et, de bonne foi, dominés par la suggestion seule, des gens garantissent l’authenticité des événements qu’ils décrivent, des spectacles dont ils croient avoir été le témoin. La conscience elle-même se trouve ainsi abusée et le mensonge des faits imaginés se déroule dans la plus complète irresponsabilité. Dans maintes causes célèbres, les

tribunaux ont été influencés par des dépositions de cet ordre et il n’est pas rare que des innocents, enveloppés à la fois dans le réseau des imaginations calomnieuses et les dénonciations sincères de la suggestion, aient payé de leur liberté ou de leur vie la légèreté d’accueil des professionnels du jugement. L’impressionnabilité des névropathes, la coalition malsaine et moutonnière du voisinage hostile ont donné prestige d’évidence à des apparences ou des coïncidences malencontreuses. Et des tracés fictifs, des précisions d’ordre imaginatif ont trouvé, dans l’insouciance sereine des « machines à condamner » ou dans le bloc influençable d’un jury qui vient, lui aussi, « de la rue », les conditions et l’atmosphère d’un nouveau crime…

Les faibles d’esprit sont, plus que d’autres, à la merci des divagations de « la folle du logis ». Ils se créent, par son jeu, des périls et des maux imaginaires… La superstition — élément de la thaumaturgie et alliée naturelle des religions — rend, par les voies du miracle et du surnaturel (apparitions, confidences, prophéties, simples déclarations) des visites intéressées à la crédulité. Et les fantaisies de l’imagination, en l’occurrence, (relations tendancieuses du passé, mensonges enrôlés, présent altéré, « accommodé », propos et attitudes falsifiés, agencements et hypothèses post-mortem, etc.), les combinaisons fantasques et incontrôlées des règnes, des ambitions et des sectes quittent les sphères de l’invention particulière pour celles de la « certitude » générale. Et la fable, à travers les religions et les religiosités, portée par l’ignorance et la passivité des masses, devient l’histoire…

En philosophie, on appelle imagination (ou imaginative : faculté d’imaginer) la faculté de se représenter mentalement des choses absentes. C’est la propriété de l’esprit qui permet le rappel de l’image et la capacité de dissocier les éléments des sensations conservées pour échafauder des constructions purement fictives, ordonner des conceptions sans correspondant réel et, par la suite, plus ou moins concrétisées. L’imagination revêt plusieurs formes ou caractères (classification spéculative, bien entendu, sériation d’étude) selon la nature et l’étendue de ses opérations. Elle est tour à tour reproductrice, destructrice, combinatrice ou créatrice.

Dans le premier cas (reproductrice) elle est dite aussi passive et se confond pour ainsi dire avec la mémoire (voir ce mot) dont elle est un des aspects. On ne pourrait d’ailleurs sans subtilité la distinguer que par la vivacité de l’image, en laissant à la mémoire le privilège de la localisation, du rejet dans le temps. L’imagination reproductrice (ou mémoire imaginative) ne fait que rappeler en son intégralité — le rappel incomplet n’est ici qu’un vice, une faiblesse de la faculté imaginative — la sensation première, et non seulement des formes et des couleurs, mais encore des sons, des contacts et même des saveurs et des odeurs, etc., ainsi que les événements psychiques passés. C’est l’image telle que nous l’avons emmagasinée lorsque l’objet nous est apparu ou que les faits nous ont frappés. Telle l’image complète d’un cheval… L’image, violente au point de se confondre avec la sensation initiale et d’être prise pour elle s’appelle hallucination. La succession des images dans le sommeil constitue le rêve (voir ce mot). Dans l’état de veille, les images (traces des sensations anciennes) peuvent se mêler aux sensations présentes et former un tout actualiste plus ou moins conscient : nous avons alors les illusions ; les rêveries, l’extase, etc.

L’imagination est davantage active (ces dénominations d’active et de passive conservent un sens relatif, mais facilitent l’exposé) dans les trois autres cas qui sont l’imagination proprement dite. L’imagination destructrice ou analytique décompose les images réelles en leurs différentes parties. Elle distinguera par exemple le buste humain et le corps du cheval. L’imagination combinatrice assemble dans un ordre quelconque, et