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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/349

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non nécessairement harmonieux, les éléments fournis par l’imagination destructrice. Ces deux opérations sont le plus souvent mêlées au point de nous apparaître comme simultanées. On obtiendra ainsi, en unissant le corps du cheval au buste humain, l’image du Centaure. On combine de même la chimère, la sirène, l’aigle bicéphale, etc. En un certain sens, le rêve est un résultat de l’imagination combinatrice mais dont l’action, toute automatique, se déroule dans l’inconscient, ou du moins dans le subconscient. L’imagination combinatrice d’exercice volontaire est apte aux manifestations de l’art, mais elle demeure une transposition fragmentaire du réel, la coordination fantaisiste d’éléments exacts reconnaissables…

L’imagination créatrice (où l’esthétisme a son domaine le plus étendu) est une forme intensifiée, et souvent idéalisée, de l’imagination combinatrice. Elle a en celle-ci ses bases et sa naissance, mais elle s’enrichit d’un facteur nouveau. Elle groupe, elle aussi, après dissociation préalable des réserves imagées, les éléments de la réalité, mais à un tel degré, parfois, qu’elle en rend impossible l’identification. Et elle opère d’après une ordonnance rationnelle (raison propre à l’individu créateur, à l’artiste) et dans un dessein esthétique. Le tout imaginé — orienté par une idée directrice — comporte son harmonie, ou au moins sa recherche, sa tendance. Il doit exprimer une idée, traduire un sentiment, éveiller, du sensuel au cérébral, les vibrations les plus variées, faire naître l’émotion, la joie, l’enthousiasme, suggérer aussi l’inhabituel, etc. L’œuvre d’art devient ainsi un symbole, car un signe matériel représentant une idée immatérielle (sit syrnbolum translucens) ce n’est plus une combinaison, un « jeu de patience » en quelque sorte, l’ingéniosité sans boussole de quelque arlequinade, c’est une harmonie dans le sens platonicien, un arrangement dont la raison accuse la maîtrise et balance et fixe la ligne… La poésie, le roman, les arts picturaux et plastiques, la religion, la sociologie, etc., ont recours aux artifices imaginatifs. Les agglomérations, les agrégations nouvelles, imprévues, originales et en même temps expressives et, en principe, sensées de l’artiste ou du théoricien sont parfois de véritables anticipations. Les sources scientifiques ou les données rationnelles des « imaginations » d’un Jules Verne, d’un Bellamy, d’un Wells, laissent une porte ouverte à l’improbabilité. Et la féerie — sans être prescience — peut se trouver d’accord avec l’avenir…

Malgré la parenté originelle de l’imagination et de la mémoire, et bien que l’imagination soit, à proprement parler, la faculté des images, et que ce terme soit emprunté au sens de la vue, on peut dire qu’il y a une imagination de tous les sens. Il y a une imagination des notions auditives, comme de la gamme chromatique. On se rappelle mentalement les airs que l’on a entendus et un musicien compose de tête. L’art musical de la composition arrive à s’affranchir de la présence du son… Il y a même une imagination du tact. L’aveugle reconnait les lettres au toucher ; l’aveugle de naissance peut être géomètre, il a une géométrie tangible, comme nous avons une géométrie visible. Sans doute on évoque difficilement une saveur, une odeur. Cependant le dégustateur, au moment où il goûte un vin, se représente le bouquet d’autres vins et compare la sensation actuelle à la sensation antérieure retenue par la mémoire imaginative…

Ce serait trop nous étendre ici que d’analyser l’imagination, d’en scruter minutieusement la matière et le mécanisme. Retenons que partout elle est, comme les Grecs le disaient des Muses, « fille de Mnémosyne ». Plus riche sera notre magasin sensoriel, plus nous aurons entreposé d’images, et plus sera aisée et féconde l’activité de « la reine de la fantaisie »… Elle étend ses matériaux du physique au mental, de l’extérieur à l’interne. Elle met à contribution le sentiment, comme la raison.

L’intelligence la seconde, qui l’épure et en ordonne le champ. L’habitude en assouplit l’usage… Outre qu’elle est toute-puissante dans l’art, l’imagination favorise aussi l’essor des sciences abstraites comme celui des sciences de la nature. Elle manie l’hypothèse, comme l’expérience. Elle est la mère des plus délicates comme des pires inventions. Elle est, avec l’art, sur le chemin des préhensions sensibles qui élargissent et tonifient nos connaissances. Elle vient en aide, dans la vie, aux bâtisseurs d’utopie, ces réalités de demain. Car elle est, au premier chef, la faculté de l’idéal… Le savoir véritable en restreint les dangers, en discipline les écarts, met un frein de vérité à ses vagabondages erronés. « Moins l’esprit comprend, dit Spinoza, plus grande est la faculté qu’il a de feindre ; et plus il comprend, plus cette faculté diminue ». L’imagination demeure, pour l’homme sain, le vaste monde inexploré, la zone sans borne des jouissances affinées. Elle est, pour l’homme enchaîné, la région où l’acharnement même des bourreaux ne peut se saisir de sa liberté. Jusqu’au sein des prisons l’homme, dans la vie imaginative, trouve le refuge suprême qui souvent lui conserve la vie… Et pourtant, si nous lui devons « la parole ailée », l’imagination a servi la découverte de ces horreurs destructives que sont les « gaz asphyxiants », triomphe des hécatombes prochaines. Et cependant, quand nous nous penchons sur l’environ résigné et que nous voyons, prostrés en cohortes innombrables, les malheureux dont les religions, les politiques ont, comme disait Fournière, « chloroformé leur douleur de vivre » par la promesse de demains apaisants et d’au-delà compensateurs, nous ne pouvons nous empêcher de penser que si elles n’avaient pu, — ces victimes —, par l’illusion imaginative, s’échapper parfois de la souffrance et de la médiocrité où elles languissent, elles en auraient depuis longtemps tari les causes. Et la révolte elle-même, leur salut pourtant, n’aurait plus d’objet… — S. M. S.

Ouvrages a consulter : H. Spencer : Psychologie. — Th. Ribot : L’Imagination créatrice. — Bain : Les Sens et l’Intelligence. — Rabier : Philosophie. — G. Séailles : Le Génie dans l’Art. — Taine : L’Idéal dans l’Art. — Wundt : Psychologie Physiologique. — Boirac : Philosophie. — Guyau : Esthétique. — P. Janet : L’Automatisme psycho. — Luys : Le Cerveau et ses fonctions. — J. Sully : Les Illusions des Sens et de l’Esprit. etc…


IMBROGLIO n. m. Mot italien qui veut dire confusion, embrouillement. Situation confuse et très compliquée. Exemple : le recueil des lois est un véritable imbroglio dans lequel même les légistes se perdent. Tel aussi l’imbroglio, à point renforcé par les intéressés, des responsabilités de la guerre.


IMITATION n. f. (du latin imitatio). L’imitation consiste dans la reproduction d’une chose semblable : mouvement, œuvre, etc. Parmi les êtres animés qui avoisinent l’homme, le singe nous donne les exemples les plus parfaits, aux confins de la conscience, de l’imitation humaine susceptible d’éducation. On obtient de curieuses imitations du même ordre avec les animaux les plus divers : chiens, chats, chevaux, oiseaux, otaries, jusqu’aux grenouilles. Chaque catégorie d’animaux a, du reste, ses imitations spécifiques. Mais l’imitation qui nous intéresse le plus ici est celle qui se fait parmi nos semblables… Elle est, pour l’enfant, aux portes mêmes de la vie et parmi les premières effectivités de la connaissance. Avec elle se vainquent les premières timidités et se fait l’apprentissage de l’action, les tâtonnants essais du langage. L’imitation le poursuit d’ailleurs inéluctablement. Jusqu’au terme éducation qui désigne la codification savante de ses influences et renferme le dessein d’amener à imiter. Tout concourt à retenir la jeunesse dans les lisières de l’imitation et