de le prouver. Ce qui ne fait aucun doute, c’est que le mâle se montre plus brutal dans ses rapports sexuels, et que beaucoup d’hommes, une fois satisfaits, ne se soucient plus guère de ce que peut ressentir leur compagne. Et que celle-ci se dégoûte, répugne aux rapprochements, à qui en est alors la faute ? Combien d’hommes passent des heures passionnées à attendre le résultat des courses, qui trouveraient grossier et inconvenant de s’attacher à la physiologie d’une personne chère, dont l’équilibre sexuel est pourtant nécessaire à l’entretien et à l’harmonie de leur amour !
Voici quelques citations extraites de l’opuscule Lorulot, de Morale et éducation sexuelles (éditions du Fauconnier), qui apporteront l’avis d’une personnalité compétente en la matière :
« Il y a évidemment des femmes froides « par tempérament ». Mais elles sont beaucoup moins nombreuses qu’on ne le croit, et elles constituent, osons l’écrire, un cas pathologique. »
« La femme est sacrifiée. Sa sexualité est méconnue, étouffée, abolie. A un tel point qu’un grand nombre de femmes ont fini par trouver normale leur situation affreuse d’être retranchées de la volupté et privées de la plus grande source de joie où il soit donné à l’humanité de puiser. »
Combien de femmes, hélas, profèrent cette phrase blasphématoire : « Pour le plaisir que nous y trouvons, nous, les femmes, à l’amour ! » Suprême injure à la vie.
« Les « laides » si disgraciées soient-elles, ne sont pas forcément « froides ». J’opinerai même à croire le contraire. Quel feu couve parfois à l’intérieur de ces corps dédaignés ! Et que de bonheur perdu ! — pour elles, les laides, et pour l’homme aussi…
« Disons, au contraire, que dix-neuf femmes sur vingt (la vingtième est une anormale ou une malade) ne vivent que pour l’amour et n’aspirent qu’à l’amour. Toute leur sensibilité (si raffinée) et toutes leurs facultés sont dirigées vers l’amour. C’est la faute à notre conception dégénérée de la vie, à nos servitudes étriquées, si la femme, devenue inapte, trop souvent, à remplir son rôle magnifique d’amante, devient un être amorphe, insensible et douloureux. »
Et l’auteur remarque :
« 1° Pour parler à la sexualité de la femme, la science des caresses est indispensable ;
« 2° Pour donner à la femme le maximum de satisfaction que sa psychologie réclame, il faut étudier sa périodicité amoureuse et les lois de ses désirs. »
Ceci explique l’exclamation d’Armand : « Pourquoi n’y a-t-il pas des cours de volupté amoureuse ?… » (E. Armand : L’Initiation individualiste, p. 252).
On est donc mal venu de parler de l’insensibilité de la femme, tant que goujaterie, brutalité, ignorance et hypocrisie seront la règle commune dans les rapports sexuels.
L’insensibilité psychologique revêt des formes variées, aussi variées que les causes qui peuvent la produire. L’insensibilité morale — c’est-à-dire l’inaptitude à sentir l’esthétique de certains actes, d’où indifférence en matières de mœurs — peut rompre totalement les attaches entre l’humanité et l’individu inhumain (Voir ce dernier mot). Le degré d’insensibilité peut être aussi une « question de nerfs », comme dit H. de Montherlant : on craint de voir abattre un cheval ou mettre à mort un taureau, mais on écrase insouciamment des insectes qui sont de véritables merveilles…
Insensibilité va souvent de pair avec ignorance. Nombre d’enfants — « cet âge est sans pitié » — se complaisent dans des actes de cruauté, — défaut de jugement plutôt que de sensibilité — car il faut comprendre pour éprouver de la pitié. D’autres cas d’insensibilité par défaut de jugement sont présentés par certaines peuplades primitives, qui ont fait de la torture un art con-
Il est d’ailleurs regrettable que des éducateurs inconscients semblent s’ingénier à fausser ou à détruire la sensibilité de leurs enfants. Ils l’apitoient jusqu’aux larmes sur le triste sort d’une poupée de carton…, mais bientôt, l’enfant comprendra, et sensibilité deviendra pour lui synonyme de duperie. Pour résumer cette question de l’insensibilité dans l’éducation, dont l’exposé mériterait un volume, insistons sur deux points : 1° Il faut respecter chez l’enfant la sensibilité existante et organiser son éducation en conséquence ; 2° Il faut affiner et développer le peu de sensibilité dont jouissent certains sujets déficients sous ce rapport.
La société ne se conduit d’ailleurs pas mieux envers l’adulte que les parents de tantôt envers l’enfant. A tout instant, on a l’occasion de dire et d’entendre dire : « On ne m’y prendra plus », expression du regret d’avoir donné dans le panneau « bonté », que d’aucuns manient vraiment avec une adresse extrême. La société tend à opérer de la sorte, en faveur des moins sensibles, une sélection à rebours dont les lynchages, les exécutions froidement concertées d’idéalistes politiques en Amérique peuvent déjà nous faire entrevoir les résultats.
La sensibilité peut aussi être usée par l’habitude. Un spectacle habituel cesse de toucher ; on s’endurcit à sa propre misère et à celle des siens. Les anciens ne souffraient guère de l’affreuse situation des esclaves, et les détruisaient comme du simple bétail. Ceux-ci, de leur côté, semblent avoir accepté leur sort avec assez de résignation. Les calamités publiques, les famines, les massacres, peuvent même amener un état d’insensibilité général, détruire tout ressort chez un peuple entier, même pour plusieurs générations : ce qui explique que les peuples les plus maltraités ne soient pas les plus prompts à la révolte.
Bien souvent, l’insensibilité, plus apparente que réelle, est voulue et employée comme une arme dans la lutte pour la vie : comme toutes les armes, elle vaut alors selon l’usage qu’on sait en faire. Des femmes cachent le plaisir qu’elles prennent aux rapports sentimentaux ou sexuels, soit par désir de faire croire à un sacrifice de leur part, soit par honte de s’adonner à la luxure : préjugés assez compréhensibles dans une société imprégnée de ce christianisme qui fit du renoncement une vertu, qui maudit la vie sous toutes ses formes. Les mêmes influences poussent des malheureux tout à fait fanatisés à rechercher la douleur, à laquelle ils s’accoutument d’ailleurs et qui peut les entraîner à d’étranges perversions, afin d’en faire offrande au Dieu de bonté !
Les philosophes, les Stoïciens surtout (voir les Maximes d’Epictète), recommandent aussi l’insensibilité comme moyen d’échapper aux influences du milieu, de garder en toutes circonstances une volonté libre et un calme inaltérable, — serait-ce dans un corps torturé. Cette attitude a une sorte de beauté haute qui ne peut manquer de gagner de tous temps de nombreux suffrages : dommage pourtant qu’elle serve si souvent de nos jours à bien des dandys, qui prennent le masque de l’impassibilité pour se dispenser d’ouvrir les yeux sur les malheurs… d’autrui !
Quoi qu’il en soit, on ne peut que conclure, avec le Dr H.-M. Fay, que « être peu émotif est plutôt une force qu’une faiblesse », et que « nous aurions sans doute grand tort d’en faire un état pathologique ». Avec réserves toutefois, car cet état « aggrave les constitutions perverse, mythomaniaque et paranoïaque quand elle leur est associée ». Il faut en outre prendre garde que l’insensibilité voulue ne devienne, comme nous l’avons dit plus haut, ordinaire par l’accoutumance, et que l’homme cuirassé ne devienne pétrifié, car c’est la sensibilité qui fait la richesse de l’individualité, et l’incapacité de souffrir entraîne l’incapacité de jouir. — L. W.