Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/438

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
INT
1046

Livré à lui-même, improductif, le capital finit par être dévoré par le capitaliste qui est aussi consommateur. L’intérêt, ce prélèvement sur la détresse des prolétaires, non seulement paye la consommation du capitaliste, laissant ainsi intact le capital mais fortifie agrandit, augmente le capital, ce qui fait dire aux économistes bourgeois que le capital travaille, au même titre que le producteur et, qu’ainsi, l’intérêt n’est que la rétribution de son travail.

« On s’imagine que le crédit multiplie les capitaux. Cette erreur, qui se trouve fréquemment reproduite dans une foule d’ouvrages, dont quelques-uns sont même écrits ex-professo sur l’Économie Politique, suppose une ignorance absolue de la nature et des fonctions des capitaux. Un capital est toujours une valeur très réelle et fixée dans une matière, car les produits immatériels ne sont pas susceptibles d’accumulation. Or, un produit matériel ne saurait être en deux endroits à la fois et servir à deux personnes en même temps. Les constructions, les machines, les provisions, les marchandises qui composent mon capital, peuvent en totalité être des valeurs que j’ai empruntées ; dans ce cas, j’exerce une industrie avec un capital qui ne m’appartient pas et que je loue ; mais, à coup sûr, ce capital que j’emploie n’est pas employé par un autre. Celui qui me le prête s’est interdit le pouvoir de le faire travailler ailleurs… » (J.-B. Say)

Or, le capital : sol, machines, constructions, monnaies, ne travaille pas. Nul ne fait donc travailler le capital. Le capital n’est qu’un instrument de travail. L’intérêt ne saurait donc représenter le « salaire » du capital — le producteur seul devant percevoir un salaire — mais seulement le loyer d’usage d’une matière, d’un outil approprié par qui ne s’en sert pas.

« La légitimité du fermage et du loyer n’ont été attaquées que du jour où la légitimité de la propriété foncière et de la propriété des maisons ont été elles-mêmes mises en question. Mais, chose curieuse, la légitimité de l’intérêt a été vivement attaquée longtemps avant que l’on eut songé à contester la propriété individuelle des capitaux, longtemps même avant qu’il y eut des socialistes…

« Un sentiment si général doit avoir assurément une cause. Elle n’est pas difficile à découvrir.

« Dans le bail à ferme, on voit le revenu sortir de terre, en quelque sorte, sous forme de récoltes, et l’on sent bien que la rente payée au propriétaire n’est pas prise dans la poche du fermier. On comprend que celui-ci ne fait que restituer les produits de l’instrument producteur qui lui a été confié et que, comme il n’en restitue qu’une partie, il doit lui rester un profit.

« Dans le prêt, au contraire, on ne voit pas le revenu sortir, sous forme d’intérêt, du sac d’écus prêté : « Un écu n’a jamais enfanté un autre écu », disait Aristote. L’intérêt ne peut donc sortir, pensait-on, que de la poche de l’emprunteur. »

Et c’est sur de telles logomachies qu’est basée toute l’Économie Politique. Comme si dans la production agricole, le sol était autre chose que le « patient » sur lequel s’exerce l’activité du cultivateur. Comme si le sol, par lui-même, sans le travail du paysan armé de sa charrue, sa bêche, etc., sans l’ensemencement de graines triées, améliorées par les hommes, pourrait produire quoi que ce soit susceptible de payer la rente du propriétaire.

Considérer le sol, au même titre que les constructions, les outils, les machines, les monnaies valeurs d’échange, c’est un non-sens sur lequel est érigée toute la vie sociale depuis que le premier fossé ou pieu servit à délimiter le droit de propriété du sol pour un ou plusieurs individus : premiers occupants ou premiers chefs.

C’est vraiment chose curieuse qu’on ait pu assimiler si longtemps le sol au capital, produit amassé par

l’homme. Et c’est cette assimilation et l’appropriation individuelle qui s’ensuit qui a régi l’ordre économique des sociétés, jusqu’à nos jours.

L’appropriation individuelle du sol ne se justifie d’aucune façon, soit qu’on parle de droit du premier occupant (pourquoi pas du dernier ?), soit qu’on parle du droit de fait acquis (pourquoi pas de droit à des faits nouveaux ?). Quant au droit du plus fort, sophistiqué ou avoué, le mode d’appropriation du sol ne serait qu’une question de circonstances, la force étant, par définition, changement, mouvement.

Toute richesse, tout capital, est le produit de deux facteurs : le sol, agent passif, et le travail, agent actif. En dernière analyse, c’est du sol que vient toute production. Le sol étant propriété de quelques individus, les autres sont, nécessairement, privés de liberté, de vie, tant que les propriétaires ne leur louent pas le sol.

Mais les sociétés, en industrialisant leur production, vivent surtout du travail : sur les produits du sol. Les produits bruts, non ouvrés, sont un capital nécessaire, absolument indispensable, ainsi que les machines et outils qui serviront à les transformer. Quiconque ne possède pas de sol et ne peut en louer, est obligé pour vivre, de louer le capital industriel sans quoi nul travail ne peut être. Le propriétaire de ce capital, comme le propriétaire foncier, loue à de très forts intérêts, toujours au maximum possible des circonstances.

Le locataire de tout capital, sous forme d’intérêts, prélève, sur les produits de son travail sur la matière, une part assez forte, qui va grossir le capital du propriétaire.

Il arrive presque toujours que le locataire d’un capital, qui paye intérêts au capitaliste, sous-loue les capitaux empruntés et fait payer au sous-locataire un nouvel intérêt, évidemment plus élevé que celui qu’il a payé lui-même. Des organismes excessivement puissants, les banques, sociétés de crédit, etc., se sont créés à l’effet de drainer les capitaux disponibles dont ils payeront intérêt, et de placer ces capitaux, à leur compte, percevant un intérêt supérieur, chez des non-possédants.

Aussi, des individus, qui ont un capital, ou qui empruntent un capital, au lieu de louer ou sous-louer à d’autres moyennant intérêts, préfèrent louer des hommes non-possédants, pour travailler sur leur capital-sol, ou sur les produits du sol. Gardant les produits nets, de cette association de leur capital et du travail des autres, pour eux et payant aux travailleurs un salaire qui veut être l’intérêt du capital-travail et qui est déterminé comme le taux de l’intérêt du capital, par la loi de l’offre et de la demande, ces producteurs capitalistes sont les maîtres réels des ouvriers qu’ils emploient.

Toutefois, les produits ainsi obtenus, ne peuvent être consommés par le capitaliste qui doit les échanger contre de la monnaie, c’est-à-dire, qui doit vendre ses produits aux consommateurs. Or, il y a concurrence, pour cette vente, entre les divers capitalistes vendeurs du même produit. Celui qui vend le meilleur marché est sûr de posséder tous les marchés. D’où nécessité d’avoir une production peu coûteuse. Nécessité de donner aux prolétaires l’intérêt le plus réduit pour leur capital-travail.

Obligé de travailler toujours plus, pour un salaire lui permettant à peine de se sustenter, le prolétaire réfléchit et se révolte. Il examine les bases de l’ordre social et découvre :

« L’intérêt général s’opposant à celui des individus est le produit d’une société basée sur l’antagonisme des intérêts, sur l’égoïsme étroit et injuste organisé et érigé en système social. Dans la société socialiste, l’intérêt général est la totalisation des intérêts de chacun. Dans notre société, le malheur des uns fait le bonheur des autres. La maladie fait vivre le médecin. La police ne