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à d’impérieuses nécessités sociales et je suis trop déterministe pour nier que toutes les institutions qui ont existé, toutes les idées qui ont régné, toutes les méthodes qui ont prévalu à un moment quelconque, n’ont pas eu leur raison d’être et ne correspondaient pas à un besoin vital des sociétés — qui n’ont pu durer, pendant des siècles nombreux, qu’à la condition de subordonner étroitement l’individu. Retenons simplement cet enseignement que l’intolérance grégaire, la prépondérance du collectif sur l’individuel, ont été les moyens d’action des sociétés barbares,

Mais, une fois l’existence de l’organisme social assurée, il ne doit pas rester stationnaire et se cristalliser. Pour se perfectionner, il faut qu’il évolue, qu’il change, qu’il se renouvelle. Les sociétés progresseront donc dans la mesure où elles seront parvenues à refouler conservatisme et misonéisme, dans la mesure où elles permettront aux initiatives de s’exercer librement, dans la mesure où elles auront toléré de nouveaux modes de penser et d’agir.

Prêtres, rois, chefs guerriers, politiciens ou tyrans économiques, font évidemment passer le souci de leurs ambitions et de leurs privilèges avant l’intérêt de la collectivité. Peu leur importe que la société s’engourdisse dans la torpeur, qu’elle végète ou rétrograde. Au contraire, cette tyrannie ne peut être que favorable à l’épanouissement de leur despotisme.

On criera donc « haro » sur le chercheur, le novateur, l’indépendant. On étouffera, par tous les moyens, même les plus violents, la pensée libre, l’effort vers le changement, l’expérimentation, vers plus de justice et d’égalité.

Toute idée subversive sera qualifiée de chimère dangereuse et d’utopie irréalisable. Au nom de la routine, on refusera de s’écarter des sentiers battus, car l’intolérance va de pair avec l’étroitesse d’esprit, la paresse et la routine.

Les gouvernants et les prêtres ont particulièrement abusé de l’intolérance et ont persécuté atrocement tous les chercheurs et tous les précurseurs.

Il est inutile de donner ici des exemples de l’intolérance de l’Église. C’est toute son histoire qu’il faudrait refaire, car elle a toujours gouverné avec absolutisme. Aujourd’hui encore, en dépit de certaines affirmations libérales ( ?), les religions sont foncièrement intolérantes. Elles ne peuvent supporter les dissidences, les libres interprétations, les recherches des penseurs désintéressés. Elles ont leur Credo, leur Évangile, leurs formules, — et il faut accepter tout cela, en bloc, les yeux fermés. Si l’on permettait à chaque fidèle de choisir librement, de rejeter ce qui lui déplaît, d’étudier sans parti-pris les doctrines adverses, d’écouter loyalement tous les sons de cloche, tous les systèmes dogmatiques seraient condamnés à s’écrouler plus ou moins rapidement. Ils ne subsistent que par la Foi, la Croyance, le Dogme — et l’Intolérance.

Pour combattre l’intolérance au point de vue social, il faut donc lutter contre le dogmatisme et contre l’autoritarisme.

Mais cela ne suffit pas : il faut aussi combattre l’intolérance au point de vue individuel.

Combien de personnes, en effet, se croient libres, se déclarent attachées aux partis d’avant-garde et conservent, malgré tout, une mentalité intolérante !

Avouons-le : les esprits vraiment tolérants sont très rares, — rarissimes même.

Il faut nous habituer pourtant à considérer la pensée d’autrui (fût-elle très différente de la nôtre) avec sympathie, avec compréhension. Nous sommes persuadés de posséder la vérité, mais qui nous prouve que nous ne nous égarons pas ? Qui sait si notre antagoniste n’a pas raison contre nous ? Il nous est pénible d’en conve-

nir parce que nous sommes égoïstes et dominés par un individualisme absurde, fait de vanité bien souvent.

On peut être tolérant, avoir des idées très larges et travailler néanmoins de toutes ses forces à la propagation de la vérité. C’est précisément en diminuant l’ignorance que l’on arrivera à rendre l’homme meilleur et à élever sa mentalité.

« La diversité de nos opinions, disait Descartes, ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies et ne considérons pas les mêmes choses. »

L’éducation élargira les horizons de la pensée humaine et fera fleurir l’amour de la liberté, — ce qui est le seul moyen de mettre fin au règne des intolérants et aux violences barbares qui sont la honte et le malheur de l’humanité. — André Lorulot.


INTRANSIGEANCE n. f. Système de ceux qui ne transigent pas, qui ne veulent faire aucune concession. Qualité ou défaut, selon l’objet.

Dans un monde où tout est relatif, il paraît absurde de parler d’absolus. Sans cesse, dans l’univers, tout change, tout se modifie, les végétaux et les minéraux, comme les animaux, comme les idées, comme les sociétés. Ne pas transiger demande une certitude que seuls les sots affirment immuable. La certitude que l’on détient une règle de conduite parfaite, ne saurait être que momentanée.

S’attacher à un dogme, à une loi, à une idée, définitivement ; être intransigeant avec soi-même, ne pas tenir compte ni des faits nouveaux, ni des contingences sociales, c’est œuvre de sectaire. Cela nie la liberté de l’individu et affirme l’impuissance de la raison.

Que le pape, prétendant parler au nom d’un Dieu éternel, immuable, ne transige pas, cela se conçoit ; à condition que soit démontrée auparavant l’existence de ce Dieu et la réalité du lien qui, dit le pape, les unit tous deux, — hors cette démonstration il n’y a qu’imposture. Mais qu’un autre individu soit intransigeant sur une quelconque question, cela ne saurait s’admettre que jusqu’à preuve qu’il erre. Cette preuve fournie, l’homme se doit de modifier l’objet de son intransigeance.

En outre et quand il s’agit de passer de la théorie à la pratique, c’est folie que de ne pas tenir compte des résistances à combattre, des possibilités de réalisation.

Si tous se cantonnent dans leur intransigeance, toute mesure est la force. Le sectaire est presque toujours un fripon ou un ignorant, il est dangereux pour tous et doit être sévèrement écarté des compétitions sociales. Il y a en lui, à l’état latent, un dictateur, un maître.

Or, « notre ennemi c’est notre maître ». Les anarchistes, destructeurs impitoyables des fausses valeurs sociales ou individuelles, ne sauraient être des sectaires. Intransigeants avec leur conscience, oui, certes, mais toujours prêts à se rallier au point de vue qui, après mûre réflexion, leur paraît le meilleur. — A. Lapeyre.


INTRIGUE n. f. (lat. intricare, embarrasser ; de trica, entraves). Réunion d’événements ou de circonstances qui se rencontrent dans une affaire ; complication, embarras ; machinations secrètes dans le but d’obtenir quelque avantage ou de nuire à quelqu’un : « La récompense due au mérite est souvent accordée à l’intrigue. » Voltaire disait : « Ce qu’un savant gagne en intrigues, il le perd en génie ; de même qu’en mécanique ce qu’on gagne en temps on le perd en forces. » Beaumarchais soulignait ainsi l’étendue de la ruse et la dépense de basse ingéniosité qu’appelle l’intrigue : « Dans le vaste champ de l’intrigue, il faut savoir tout cultiver, jusqu’à la vanité d’un sot. »

La cour des rois était un foyer d’intrigues perpé-