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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/47

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ÉGOÏSME. Ce mot désigne simplement ce qui a rapport à soi. L’égoïsme procède de l’instinct de conservation, ce n’est pas plus un vice qu’une vertu ; c’est un fait. Comme la pesanteur !

L’égoïsme est nécessaire au fonctionnement harmonieux de l’individu autant que ses organes physiques.

Le sens exclusivement péjoratif que l’on prête à ce mot suffirait à donner la mesure de l’hypocrisie sociale. Les conventions reposent sur de tels mensonges que ce sentiment naturel est hypocritement répudié comme un vice. Et pourtant, l’égoïsme, en soi, n’est ni bon ni mauvais. Il est. Simplement.

Selon l’atavisme, le tempérament, l’ambiance et l’éducation des individus, l’égoïsme se qualifie. Il produit chez celui-ci de la violence, chez celui-là de l’avarice et chez cet autre de l’amour.

Prenons un exemple : Sous les yeux de Jean, de Pierre et de Jacques, Paul est enlevé par une vague ! Aussitôt, Jean fuit ce lieu dangereux et va se mettre à l’abri ; Pierre, au vêtement de qui Paul avait tenté de se retenir, l’a violemment repoussé dans l’abîme pour n’y être pas entraîné avec lui. Dans le même temps, Jacques, sans se soucier de son propre danger, s’est jeté dans les flots, il a lutté contre leur violence et ramené Paul à la vie.

Tous trois ont commis un acte égoïste.

Ces actes sont différents parce que chaque individu avait une sensibilité différente. La sensibilité de Jacques a rendu son égoïsme salutaire à Paul, c’est incontestable ; mais tout comme Jean et Pierre, il fuyait une souffrance, sa propre souffrance, faite par réflexe, des souffrances de Paul !

Cultivons donc notre sensibilité et éduquons-la pour que notre égoïsme soit plus agréable et bienfaisant à autrui, nous multiplierons ainsi mutuellement la somme de nos jouissances. Mais ayons la cynique honnêteté de nous reconnaître égoïstes.

L’antonyme d’égoïsme est altruisme et ce mot ne désigne rien qui soit. — Raoul Odin.


ÉLABORER verbe (du latin, labor, travail). Préparer un travail, de longue main. Se dit surtout des opérations organiques qui transforment une matière animale en une matière d’une autre nature. Le foie élabore la bile.

Se dit également des travaux de l’intelligence. Élaborer un poème. Élaborer un roman. Élaborer un projet de loi. Élaborer des idées.

Afin d’atteindre la perfection, tout travail doit être élaboré, c’est-à-dire préparé avec soin et méthode, surtout en ce qui concerne les ouvrages de l’esprit.

Que ce soit une œuvre littéraire ou scientifique, un exposé philosophique ou social, un discours ou une conférence, pour être clairs et précis, accessibles à la grande majorité des cerveaux, il est indispensable que ces divers travaux soient élaborés sérieusement avant d’être présentés au public. C’est bien souvent parce que l’on n’élabore pas suffisamment, que l’on reste incompris. Particulièrement dans le domaine social et chez les anarchistes, lorsqu’il s’agit de développer nos idées pour les faire partager aux profanes, on s’imagine que la sincérité suffit à atteindre le but que l’on se propose. C’est une profonde erreur. La sincérité n’est qu’un des nombreux facteurs, qui doivent nous permettre d’espérer l’appui des masses travailleuses, l’élaboration du plan de la société qui doit succéder à celle que nous subissons et qui se désagrège, en est un autre. C’est à ce travail d’élaboration qu’il faut s’atteler pour voir s’écrouler les murs crevassés du capitalisme.



ÉLECTEUR n. m. (du latin élector : qui choisit). On désigne sous ce nom celui qui est autorisé par la loi

de participer à une élection, c’est-à-dire choisir quelqu’un et l’élever à une charge ou à une fonction.

Autrefois on donnait ce nom aux princes allemands chargés d’élire l’empereur. Ils étaient au nombre de sept à l’origine (1356), mais par la suite ce nombre fut porté à neuf, puis à dix.

De nos jours et dans les pays gouvernés par le suffrage universel, tous les hommes ayant atteint un certain âge, fixé par une loi, sont électeurs ; il est même des pays qui commencent à accorder aux femmes le droit de vote.

En France avant 1848, était électeur tout citoyen ayant atteint 25 ans d’âge et payant au moins 200 fr. de contributions directes ; depuis cette date, tout français âgé de 25 ans et jouissant de ses droits civils et politiques peut concourir à une élection. Le droit de vote pour les femmes n’existe pas encore en France.

Lorsqu’en juin 1848, après la chute de Louis-Philippe le peuple français obtint le suffrage universel. — « Il a fait des révolutions pour obtenir ce droit », — il s’imagina avoir conquis le bonheur et la liberté. Il était enfin électeur ; tout allait changer. Le bulletin de vote était aux yeux du travailleur une garantie de justice et de liberté. Grâce à lui, tout comme un bourgeois, il allait avoir dans les assemblée locales ou nationales, dans les parlements, des représentants directs chargés de le soutenir et de le défendre. Électeur, le travailleur pensait devenir « le maître », son bulletin de vote le faisant l’égal de tous les citoyens ; et puisque le nombre des opprimés, des parias, des malheureux était supérieur à celui des privilégiés et des satisfaits, il n’était pas douteux que les représentants des misérables seraient les plus nombreux.

Quelle illusion !

Le principe électoral et le suffrage universel doivent leur fortune à des apparences et avoir fait admettre au peuple, au travailleur, qu’électeur il est maître de ses destinées, est peut-être la plus grande victoire remportée par la bourgeoisie sur la classe ouvrière. L’illusion a si profondément pénétré l’esprit de l’électeur, que c’est aujourd’hui un travail formidable que d’essayer de l’arracher à son erreur.

Le raisonnement de l’électeur est simpliste et ses arguments sont enfantins. Enfin, nous dit-il « nous sommes une population de quarante millions d’habitants ; il est impossible que tous les individus se réunissent ensemble pour discuter ; il est donc indispensable de nommer des délégués pour accomplir cette tâche. Étant électeur, j’ai la liberté de voter pour qui me plaît, et de choisir un représentant partageant mes opinions. Si le nombre d’électeurs du même avis que moi est en majorité, il est indéniable que je sortirai victorieux de la lutte que je mène contre mes adversaires. Le parlement m’appartiendra, et puis le gouvernement, et puis je serai le maître. Je ferai des lois, je publierai des décrets, en un mot, je transformerai du tout au tout la société moderne. »

Telle est la théorie qui anime l’électeur. C’est depuis la révolution de 48, avons-nous dit, que chacun en France est électeur ; ce qui n’empêcha du reste pas le prince Napoléon de faire, le 2 décembre 1851, un coup d’État et de se faire nommer empereur des Français. Ce premier choc, à peine trois ans après un mouvement insurrectionnel eut dû faire réfléchir la population. Non pas ; trompée par les apparences, elle persista dans son aveuglement et dans son erreur. Elle continua à avoir confiance en ces assemblées de fantoches et de charlatans, complices intéressés de la classe bourgeoise.

Des années ont passé, les expériences se sont répétées, les exemples se sont multipliés, les trahisons sont devenues plus fréquentes, l’électeur vote toujours, sans se lasser, espérant toujours former un parlement