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où il aura la majorité et où il pourra de sa puissance écraser la bourgeoisie.

Que de fois ne lui a-t-on dit que rien de bon ne pouvait germer du parlementarisme et que son action était stérile ; que de fois ne lui a-t-on prouvé la subordination du parlement par le capital ? Il ne veut pas comprendre, il ne veut pas entendre, il ne veut pas voir. L’électeur est un religieux qui veut rester plongé dans son obscurité.

« J’ai peut-être le droit, dit Laisant, de parler avec liberté du parlementarisme, ayant passé dix-sept années de ma vie au parlement (de 1876 à 1893). J’y étais entré à l’époque de ma jeunesse, au lendemain de la guerre, avec toutes les illusions, et j’en suis sorti de mon plein gré, après cette trop longue expérience. J’ai cherché à y faire du bien, et je n’y ai pas réussi. Bien certainement, je ne saurais avoir la prétention de m’être trouvé seul dans ce cas ; et je ne peux pas condamner ceux qui sont encore aujourd’hui les victimes et les dupes des illusions qui jadis furent les miennes, et que partagèrent mes électeurs. J’ai eu conscience de tenter de remplir mon mandat, d’empêcher les iniquités, d’introduire dans nos institutions un peu d’humanité et de justice. La chose était impossible ; le gouvernement de la bourgeoisie s’y oppose par sa nature même, et les lois n’ont pour objet que de régulariser l’injustice, d’assurer la domination des plus forts sur les plus faibles. Le système exige la cruauté, la férocité, alors même que les individus qui l’appliquent seraient humains et bons. » (A. Laisant : L’illusion parlementaire.)

Les anarchistes ont depuis longtemps déjà compris tout le mensonge électoral, et c’est en 1879 qu’ils se séparèrent des socialistes avec lesquels ils avaient marché jusqu’alors. Les socialistes d’hier, de même que les communistes d’aujourd’hui ne pardonnent pas aux libertaires de se livrer à une action anti-électorale et de chercher à éloigner l’électeur de la symbolique urne démocratique.

Au cours des campagnes électorales, alors que ne réclamant rien, nous venons auprès des électeurs pour les initier et leur faire partager nos aspirations, que de fois n’avons-nous pas été accusés d’être des agents de réaction et de division sociale. Et pourtant existe-t-il en France, parmi la classe ouvrière, un électeur, un seul, qui puisse prétendre que son action ait été profitable à la cause qui lui est chère ; que le bulletin de vote dont il s’est servi l’ait libéré de son esclavage et de la contrainte qu’il subit depuis si longtemps ; que l’intervention de son représentant ait amélioré son sort, diminué ses souffrances, élargi le domaine de sa liberté ?

Depuis près de 80 ans, qu’en France, tout citoyen âgé de 21 ans est électeur, est-il une conquête qui n’est pas le résultat de la lutte révolutionnaire, et les diverses réformes consenties par la bourgeoisie ne le furent-elles pas en raison directe de la puissance de l’action populaire ? Le parlementarisme s’est manifesté inopérant dans tous les domaines intéressant la classe ouvrière, et à maintes reprises, la critique en fut faite, avec talent, par des savants, des philosophes et des écrivains.

Nous ne devrions pas avoir à revenir sur un sujet qui a soulevé bien des polémiques, et la faillite du parlementarisme, et l’action électorale est si flagrante que nous sommes surpris qu’il y ait en France encore un homme assez naïf ou inconscient pour être fier d’être électeur.

Plus que jamais l’électeur devrait être fixé, aujourd’hui, sur la valeur de sa puissance et sur le cas que l’on fait de sa volonté. Les élections de 1924 ne furent-elles pas un symbole de fourberie et de trahison ?

Après dix ans de guerre atroce, après avoir consenti

des sacrifices inimaginables pour sauver sa liberté, après avoir consenti à se laisser gouverner aveuglément pour sauver la « Patrie en danger », le peuple dans la plénitude de ses droits, le 11 mai 1924, affirme sa volonté de voir se terminer une politique de rapine et de vol, de nationalisme dangereux ; il réclame pour ceux qui furent victimes de la folie d’un ministre lorrain, une amnistie pleine et entière, il demande qu’on le débarrasse du cléricalisme qui, petit à petit, envahit à nouveau le territoire, il affirme son désir de voir écraser les bandes fascistes qui commencent à l’exemple de l’Italie de terroriser la nation ; il balaye le « Bloc National » et, confiant dans les promesses de ses candidats unis dans un « Bloc des gauches », il vote librement, sincèrement, espérant voir la République se refaire enfin une virginité.

Deux ans s’écoulent, et les résultats sont là terrifiants. Deux ans s’écoulent, et malgré la volonté de l’électeur, l’homme de mort dirige encore et préside aux destinées de la France républicaine.

Les promesses ? Elles se sont envolées comme un brin de paille ; l’amnistie ne fut pas votée ; le cléricalisme est plus puissant que jamais et le fascisme fait de rapides progrès. Le peuple, l’électeur, avait demandé la paix ; il eut la guerre du Maroc, il eut la guerre de Syrie, il aura d’autres guerres demain ; il avait dit : « Nous avons faim et nous souffrons ». La vie est dure. Les impôts sont devenus plus lourds, le coût de l’existence a augmenté. Qu’a-t-on fait de ta volonté, pauvre électeur, pauvre imbécile, qui une fois de plus t’es laissé griser, leurrer, par les belles paroles de tes candidats ?

Cela suffit-il à t’éclairer ; es-tu fixé à présent ? Non. L’électeur a encore confiance. Après avoir voté pour le républicain, il a voté pour le radical, il a voté pour le socialiste, il vote maintenant pour le « communiste ». A qui le tour ensuite ? D’autres pantins viendront après ceux-là ; avec les mêmes paroles, avec les mêmes mensonges ils obtiendront les mêmes succès. A moins que…

Car tout de même, ce n’est pas en vain que chaque jour nous déchirons le rideau de la politique. L’accroc est devenu tellement grand que l’on voit maintenant ce qui se passe dans les coulisses, et dégoûté par la comédie, une minorité déserte déjà les urnes. Cette minorité va grandir, bientôt elle deviendra une majorité puissante qui s’imposera non plus par le bulletin de vote, mais par l’action.

Il ne suffit pas évidemment de ne pas voter. Celui qui, par lassitude, par dégoût, par paresse, ne vote pas et reste tranquillement chez lui, attendant d’un miracle la transformation de la société et l’amélioration de son sort, n’est pas plus intéressant que l’électeur inconscient. Il l’est moins, pourrait-on dire, car l’électeur croit remplir une action utile en accomplissant son acte ; il se trompe, mais l’esprit même de son erreur rend cette erreur respectable et une fois éclairé, il viendra grossir les rangs de tous les révoltés qui œuvrent sainement pour conquérir le bien-être et la liberté.

Électeurs, abandonnez les urnes. « Développez-vous physiquement et cérébralement, prolétaires de tous les pays ; cultivez et appliquez la grande loi de la solidarité. Renoncez à l’illusion parlementaire, portez vos efforts sur l’organisation syndicale, sur l’association consciente. Et la libération désirée, l’avènement d’un régime moins cruel, seront moins éternellement reculés. Un sang généreux coule dans vos veines ; ne faites pas la folie de le sacrifier pour une chimère… » (C.-A. Laisant.)

Car ce n’est véritablement qu’une chimère, que le parlementarisme. Dans une société, dit Jean Grave « où l’activité de l’individu est bornée par la posses-