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Toujours est-il que le sujet perd totalement son équilibre et est incité à des actes que la conscience, la raison des autres réprouvent. Ce mal est à la portée de tout le monde, mais les frontières de l’ivresse folle ne sont pas toujours franchies. Dans ce cas l’amour est raisonnable, s’il n’est pas déraisonnable d’accoupler ces deux mots.

Le culte de l’art produit des ivresses incomparables auxquelles les sujets s’abandonnent parfois jusqu’à la déraison. L’inspiration, tout ce que la folle du logis peut créer, a tôt fait de faire sortir l’artiste des limites où il reste son maître. Il faut de ces ivresses où l’on est porté sur l’aile du génie pour produire des œuvres fortes. Le parfait équilibre n’inspire guère que des platitudes. Il n’en reste pas moins que de telles ivresses, pour séduisantes qu’elles soient, dérèglent toujours le comportement normal, troublent le jugement et induisent les sujets à des excès dont ils n’ont plus conscience. Archimède s’évadant de son bain et parcourant la ville dans un état de nudité complète en criant « eurêka », est le symbole de l’état auquel je fais allusion.

Que dire de l’ivresse mystique, dont l’histoire est remplie ? Quoi de plus fou, de plus déraisonnable que ces extases où s’exhibèrent les prétendus saints de toutes les religions, que ces accès de démence où tant de pauvres hères acceptèrent le martyre pour confesser leur foi, et dont le transport était assez intense pour suppri-

mer jusqu’à la sensation de la douleur physique ? L’ivrogne d’alcool présente la même anesthésie. Similitude d’états. Il est du reste un lien plus serré qu’on ne croit entre ces paroxysmes d’états mystiques et la sexualité et, par suite, avec la vie des glandes endocrines. La sainte Thérèse, Marie Alacoque et d’autres illuminées moins réputées sont des types morbides de la passion au degré de paroxysme ébrieux.

Faut-il parler longuement sur l’ivresse du sang, l’amour du carnage qui caractérise tant de patriotes de métier et dont l’aberration paroxystique suscite des crises de folie collective, décorée du nom de guerre, où la démence est telle qu’on exalte et magnifie les actes destructeurs les plus hideux ? Le retour à une plus juste compréhension des faits peut seule faire mesurer l’énormité d’une telle ivresse. Le mécanisme secret d’une telle maladie est maintenant bien connu.

Et j’en dirais autant de tous les états passionnels dont le propre est de dérégler l’homme, de le ramener à l’état instinctif, où il abdique ses belles qualités pour redevenir la brute initiale. Ivre de jalousie, ivre de colère, etc., sont des locutions dont la langue courante est pleine ; graves et dangereux, ces états sont heureusement compensés par des états inverses d’heureuse folie, tels que l’ivresse de la joie. Les sottises que l’une commet y sont pourtant, pour le psychologue qui analyse froidement, de la même essence. — Dr  Legrain.