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JAU
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jaunes et ce qu’ils devinrent ou ce qu’ils sont encore pour être fixés sur cette plaie, cette honte de l’organisation ouvrière. Les syndicats jaunes furent l’œuvre d’individus tarés, prêts à tout, moyennant finance, pour faire obstacle au succès du syndicalisme rouge qui s’imposa quand même. C’est un moment de l’histoire syndicaliste que cette époque héroïque de lutte contre un patronat aux abois, malgré toutes les forces gouvernementales rassemblées pour son maintien et les syndicats de désagrégation ouvrière liés à son service. La trahison chez les jaunes est si fortement enracinée qu’ils trahissent ceux qui les paient, qu’ils se trahissent entre eux et qu’ils trahissent même leur programme. D’abord, pour les besoins de leur cause, ils falsifient les chiffres. Pour faire chanter les patrons auxquels ils offrent leur concours, ils ajoutent des zéros à l’énumération des effectifs des syndicats jaunes et ils en biffent au nombre des syndicats rouges dont ils donnent une énumération pitoyable et squelettique. Selon les besoins, ils font terribles les syndicats rouges, comme ils les font piteux et sans ressort. Que cela soit contradictoire, cela n’a pas d’importance. Tout dépend des circonstances et de la destinée de l’appel qu’ils font aux « honnêtes » gens cramponnés à « l’ordre », symbole de la tranquillité jouisseuse et du statu quo social.

Voici comment ils écrivent leur histoire, les Jaunes de France, par la plume de Pierre Biétry :

« Début des Jaunes. — Aux premiers mois de 1901, une sourde mais profonde évolution s’accomplissait dans la classe ouvrière. Les meilleurs parmi ceux qui avaient favorisé, sinon implanté le syndicat socialiste faisaient un retour sur eux-mêmes, refusaient nettement de suivre plus longtemps les Jaurès, les Millerand et autres mauvais bergers dans leurs théories antinationalistes, athées, négatives de tout idéal et nettement révolutionnaires, au mépris des revendications légitimes et possibles. Nous avions vu trop d’infamies… Avec quelques camarades nous avions résolu de remonter ce courant et dans toute la France on vit s’édifier des syndicats indépendants. Avec la complicité d’un homme qui, sous prétexte d’organiser les Jaunes, fit un mal considérable à l’idée même du syndicalisme indépendant, les prédécesseurs de M. Combes mirent la main sur la direction intellectuelle du mouvement. Il y eût là de beaux jours pour M. Lanoir qui fut l’artisan de notre échec momentané. Bref, les événements, les constatations journalières nous imposèrent la certitude que non seulement M. Lanoir n’organisait et ne voulait point organiser le monde ouvrier, mais qu’il avait créé, grâce au concours aveugle de nos groupes et de nous-mêmes, une véritable. industrie dont il était, avec le gouvernement, le seul bénéficiaire. »

Biétry qui veut remplacer Lanoir à la tête du mouvement jaune, se fait ainsi connaître en nous révélant celui qui le gêne et à qui il semble dire : « À canaille, canaille et demie : ôte-toi de là que je m’y mette ! » Et il s’y est mis.

Le premier congrès des Jaunes se tint à Saint-Mandé les 27, 28 et 29 mars 1902. M. Lanoir n’y présenta aucun programme professionnel. Il voulait simplement faire une cassure dans le syndicalisme et former uniquement. des groupes antigrévistes avec ces deux moyens d’existence : 1° subventions officielles ; 2° subventions patronales. C’était tout, c’était peu, c’était rien…

Biétry, après avoir débarqué Lanoir, son prédécesseur dans le mouvement jaune, entreprend de lui succéder et surtout de relever ce mouvement avec l’appui de toute la réaction et de ses journaux, de M. Méline et de son groupe, de l’Association républicaine et de l’opinion publique des cléricaux et des patriotes.

Et ce bon Biétry nous apprend combien loyale fut sa démarche auprès du Président de la République, à l’Elysée, où, dit-il, M. Loubet traita de misérables les

politiciens socialistes et ajouta, s’adressant aux délégués jaunes : « L’œuvre que vous avez entreprise a toutes mes sympathies ; je vous félicite de votre courage, et je vous souhaite de tout mon cœur une grande réussite. » Venus de si haut, de tels encouragements furent profitables aux jaunes en général et à Biétry en particulier. Il devint le chef incontesté de la Fédération des Jaunes de France, avec un programme bien défini. Il devint aussi député de Brest, puis homme de grosses affaires aux colonies, dans l’industrie du caoutchouc… mais cela, c’est une autre histoire. L’ouvrier horloger Biétry, traître à tout et à tous, est mort après avoir été syndicaliste révolutionnaire, socialiste guesdiste, puis nationaliste, clérical, jaune, politicien, anti-politicien, député, colon. Ce grand ami de M. Japy, grand industriel, est mort, peut-on dire, comme il avait vécu : Jaune, jaune jusqu’au bout…

Les jaunes de cette époque n’ont pas empêché le syndicalisme, le vrai, celui d’avant-guerre, de marcher droit vers la révolution sociale. La guerre vint, hélas ! mais la révolution ne vint pas… Sous de multiples formes les jaunes n’ont cessé d’exercer leur action conservatrice et même régressive. Ils se font aujourd’hui l’auxiliaire du fascisme, tentative suprême du patronat de combat. Mais en dépit de leurs manœuvres, et de l’union sacrée, et de la dictature, le compromis social s’avère aussi précaire. Et vain apparaît toujours l’espoir d’équilibre par un accord du Capital et du Travail. — Georges Yvetot.


JAUNISSE n. f. Pris dans le sens syndicaliste, la Jaunisse n’a rien de commun avec une coloration maladive de la peau. Un ouvrier est atteint de jaunisse quand, par manque de cœur, de loyauté ou de courage, il abandonne la cause des syndiqués rouges qui est la sienne pour épouser celle des Jaunes, s’acheminant ainsi, à l’encontre de ses intérêts de classe, vers la bassesse et la servilité.

Les principes sur lesquels se basent les meneurs de la Jaunisse en France sont bien particuliers par les espoirs chimériques offerts à leurs adhérents et par les hypocrites promesses de paix sociale prévues à leur programme.

L’on en peut juger par les formules de Jaunisse émises :

1° Associations uniquement professionnelles, en dehors de la politique, d’ouvriers et de patrons ;

2° Refus absolu de profiter du droit acquis par les travailleurs de faire usage de la grève pour revendiquer mieux-être ou dignité ;

3° Hors de l’État, par l’entente des ouvriers et des patrons, par l’harmonie de leurs intérêts, mener les travailleurs à l’accession de la propriété.

Et voilà toute la profondeur et l’originalité du programme de la Jaunisse.

Ceux qui parlent ainsi d’associations uniquement professionnelles d’ouvriers et de patrons savent qu’ils mentent effrontément. Les patrons, en effet, ont formé des associations professionnelles entre eux, par crainte unique des syndicats professionnels de leurs ouvriers. En outre, il a été démontré, au mot Jaune, que la seule entente qui exista entre patrons et ouvriers fut conclue avec les déserteurs de l’atelier et de la lutte ouvrière, avec les stipendiés du patronat, détachés de la cause ouvrière, et pactisant avec ses pires ennemis.

Quant à l’accession de la classe ouvrière à la propriété individuelle, c’est aussi contraire au syndicalisme ouvrier que le pourrait être la thèse qui consisterait à faire croire aux peuples que l’accroissement des matériaux de guerre n’a d’autre but que la paix.

Le syndicalisme, qui tend à la transformation économique, n’a pas pour but de fortifier la société bour-