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geoise et de perpétuer un règne d’injustice sociale et d’iniquité.

D’ailleurs, l’ouvrier rêve d’abord d’un salaire lui permettant de vivre et ne se groupe point en syndicat pour obtenir le privilège menteur de posséder de quoi paralyser à jamais son esprit de lutte, son action combative et revendicatrice.

La Jaunisse n’a pas de prise sur le véritable syndicaliste parce qu’elle est basée sur l’inconscience et l’abdication. Elle participe de la résignation et de l’abaissement qui rivent davantage les chaînes du travail, et elle justifie la spoliation qui est à la base du régime. Son seul avantage est, d’une part, de rapporter à ceux qui s’en font les préconisateurs et les agents et de concourir à entretenir, d’autre part, la misère et l’infériorité des autres pour la plus grande satisfaction des privilégiés sociaux. Et ce n’est pas l’accession accidentelle — nous pourrions dire providentielle si ce mot ne jurait sous notre plume de mécréant — de quelques ouvriers aux biens convoités, l’élévation isolée de quelques unités sur le plan patronal qui solutionne l’état de défaveur et d’injustice du grand nombre. La jaunisse prolonge peut-être le capitalisme, mais elle ne sauve pas le travail, la masse besogneuse.

Elle ment aussi, la jaunisse, qui prétend se cantonner sur le terrain économique et mépriser politique et politiciens. Les actes, toute la vie des jaunes influents, sont là typiques. Leur histoire — faite par eux-mêmes —nous les montre en perpétuels accords, en incessantes et louches combinaisons avec le clergé, les royalistes, les industriels puissants et les politiciens tarés de toute nuance. Le mouvement jaune n’est qu’intrigue et duplicité. Ses groupements « professionnels et ouvriers » n’existent qu’à l’instant d’un coup à faire contre des travailleurs en grève. Ils n’ont rien de commun avec l’enthousiasme réel des syndicats sincèrement chrétiens comme l’ont été les sillonnistes, par exemple. La jaunisse n’a rien à voir avec un idéal. Elle n’a d’ailleurs pas d’action propre et se contente d’être à la remorque des groupements patronaux, d’obéir à leurs suggestions. Les meneurs, dans la « jaunisse », n’ont jamais été considérés par ceux-mêmes qui les employaient, leur versait l’argent de Judas, autrement que comme de sinistres individus, et par tous ceux qui les connaissaient autrement que comme des coquins méprisables.

La jaunisse n’a pas été autre chose qu’une affaire, une arme de diversion et de retard, maniée avec des pincettes par le patronat dont elle servait la cause. Il flotte à sa surface des éléments sincères, mais ses dessous sont d’infamie. Elle est une excroissance vénéneuse d’un système qui fait, pour se maintenir, flèche de tous bois et s’appuie sans vergogne sur la vénalité. — G. Y.


JÉSUITES n. m. Les Jésuites ! Un sujet bien usé, dira-t-on ? Et l’on affectera d’en rire et de passer à autre chose.

Notons simplement, pour l’instant, que les Jésuites ne sont pas étrangers à cet état d’esprit, qu’ils font tout pour le répandre et le maintenir, de même qu’ils ont répandu avec tant de succès les thèses sur l’anticléricalisme « périmé », considéré comme une « déviation », sur la religion « affaire privée », etc., etc. Désarmer toute opposition, afin d’avoir le champ libre, égarer les esprits, brouiller les cartes, ce sont des exercices où ils excellent. Nous le montrerons au cours de cet exposé, si rapide et si insuffisant qu’il soit.

Les Origines : Ignace de Loyola. — La Compagnie de Jésus a été fondée par l’Espagnol Iňigno Lopez de Recalde, devenu célèbre sous le nom d’Ignace de Loyola. Il est utile de donner quelques renseignements sur sa personne. Né à Loyola, en 1491, Ignace était, à l’âge de 23 ans, un jeune officier qui menait une existence très mondaine et même très dissipée. Il avait eu maille

à partir avec les tribunaux de l’Ordinaire de Pampelune, pour avoir commis « d’énormes délits » pendant les nuits trop joyeuses du Carnaval. Il ne songeait nullement à devenir un ascète et encore moins un « saint » de la Sainte Église catholique et romaine…

En 1521, Pampelune étant assiégé par les troupes françaises, Don Ignace est grièvement blessé à la jambe. Il doit subir une opération pénible. Il était presque guéri, lorsqu’il s’aperçoit que sa jambe fracturée resterait plus courte que l’autre. Désolé, mais courageux, il n’hésite pas à briser lui-même sa jambe de nouveau, espérant par un traitement approprié la voir reprendre par la suite sa longueur primitive. Il endura de grandes souffrances, pendant de longs mois, mais n’en resta pas moins boiteux.

C’est au cours de cette inaction prolongée que son esprit fut attiré par les questions religieuses. Il se mit à lire des ouvrages de piété. D’autre part, devenu infirme, obligé de renoncer à la carrière militaire, désespéré d’abord, il cherche ensuite à orienter son activité dans une autre direction.

On le soigne à Manrèse. Il se retire souvent dans une grotte voisine, afin de méditer à son aise. C’est dans la grotte de Manrèse qu’Ignace recevra — de source divine ! — la révélation du nouvel ordre religieux qu’il est appelé à fonder. Il prétendra plus tard que les constitutions et les règles de cet ordre (la Compagnie de Jésus) lui ont été dictées ou inspirées directement par Dieu. C’est l’histoire de Moïse, de Mahomet et de tous les imposteurs qui ont parlé et agi, à travers les siècles, au nom d’une Révélation impossible à contrôler par les humbles humains…

Contentons-nous, pour l’instant, de remarquer ceci : si Loyola n’avait pas eu la jambe cassée à la guerre, il n’eût pas été visité par la grâce de Dieu et il n’aurait pas fondé l’Ordre des Jésuites.

Cette fondation, qui a joué un rôle si important dans l’histoire de la Catholicité, est donc simplement la conséquence d’un fait insignifiant en lui-même. Un jeune officier libertin se voit contraint de renoncer aux gloires ( !) de la guerre et aux joies mondaines, il tombe dans la dévotion, sincère ou non. Et plus tard, ne voulant pas rester inactif, il cherchera le succès et la satisfaction de ses ambitions dans une autre direction que celle qu’il avait primitivement adoptée…

Son instruction était nulle. A 33 ans, il était complètement ignorant et dut se mettre à étudier — avec une rare volonté, il faut en convenir.

Il avait le don d’une parole entraînante et il semble avoir exercé une incontestable influence sur ceux qui l’entouraient et le suivaient.

Ignace rêvait donc d’organiser un nouvel ordre religieux, une sorte de phalange militaire (son tempérament autoritaire l’y disposait), destinée à venir à la rescousse de l’Église romaine, combattue de tous côtés.

Luther venait de se dresser, en révolté, devant la papauté et ses trafics. La réforme protestante s’infiltrait partout et faisait des progrès inquiétants. Les papes offraient à Rome un spectacle peu édifiant et Ignace lui-même, parlant de Rome dans une lettre, écrit qu’elle est « vide de bons fruits, abondante en mauvais ». Plus tard, les Jésuites se flatteront d’avoir sauvé l’Église catholique.

Ignace se met donc à l’œuvre, mais il se heurte à de nombreuses difficultés. Avant 1543, avant même que ses projets soient venus à maturité, il avait déjà eu 8 procès devant les tribunaux ecclésiastiques et l’Inquisition — laquelle s’inquiète de ses menées. Il parvient à échapper à ses griffes, mais il doit quitter l’Espagne, car les Inquisiteurs lui rendent toute activité impossible.

Loyola vient donc en France, et c’est à Montmartre qu’il fondera (le 15 août 1534) l’ordre de la Compagnie