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de Jésus. Ses collaborateurs sont peu nombreux. Les Jésuites sont sept, en tout : 5 Espagnols, 1 Portugais, 1 Savoyard. Pas un Français. Et par la suite, jamais un Français ne sera général des Jésuites. Pleurez, patriotes inféodés au cléricalisme !

Origines musulmanes du Jésuitisme. — Fondée en 1534, la Compagnie est approuvée par le pape Paul III dès 1540. Le Vatican semble avoir compris bien vite tout le parti qu’il pourrait retirer d’une semblable milice, à condition, bien entendu, qu’elle lui fut entièrement subordonnée (ce qui n’a pas toujours été le cas, par la suite). Dominicains et Franciscains, autorisés naguère par Innocent III, n’avaient-ils pas rendu de signalés services à l’Église dominatrice et ne pouvait-elle en attendre d’aussi grands de la nouvelle Compagnie ?

Certains écrivains ont discuté la question de savoir si Loyola fut un imposteur ou un fou. Personnellement, je n’hésite pas à adopter la première solution. Ambitieux, voulant jouer un rôle important, Ignace a joué la comédie de Manrèse et a monté très adroitement toute son affaire.

On a prétendu qu’il s’était inspiré d’une secte musulmane, les Haschischins (dont on a fait les Assassins), qui prenaient du haschisch, pour se mettre dans un état spécial. Loyola remplaça le haschisch par le mysticisme poussé jusqu’à l’exaltation et les résultats furent identiques.

Le chef des Haschischins ou Ismaïliens, Hassan ibn Sabbah (1056-1124), devint célèbre sous le nom de « Vieux de la Montagne ».

Muller avait déjà relevé « l’étrange analogie théorique et pratique des deux obéissances : celle des Jésuites et celle des Khouans » (cité par l’abbé Mir).

L’ex-abbé Victor Charbonnel publia en 1899, dans la Revue des Revues, une intéressante étude sur les origines islamiques de la Compagnie de Jésus. Certains rapprochements de textes sont curieux :

TEXTES MUSULMANS
TEXTES DE LOYOLA

« Tu seras entre les mains de ton cheikh comme entre les mains du laveur des morts. » (Livre de ses appuis, par le cheikh Sisnoussi, traduction de Colas ; livre antérieur aux Exercices et aux Constitutions d’Ignace).

« Les Frères auront pour leur cheikh une obéissance passive ; ils seront entre ses mains comme le cadavre aux mains du laveur des morts. » (Dernières recommandations dictées à son successeur par le Cheikh Ali-el-Djernal, de la Congrégation du Derquaonas).

« Que ceux qui vivent dans l’obéissance se laissent conduire par leur supérieur, comme le cadavre qui se laisse tourner et manier en tous sens. » (Constitution de la Compagnie de Jésus, 6e partie, chap. I.)

« Je dois me remettre aux mains de Dieu et du supérieur qui me gouverne en son nom, comme un cadavre qui n’a ni intelligence ni volonté. » (Dernières recommandations dictées par Ignace de Loyola peu de jours avant sa mort ; Bartoli, Ignace de Loyola, II, p. 534).

Les Maures avaient laissé en Espagne des traditions nombreuses et toute une littérature. Il est vraisemblable, par conséquent, que Loyola ait eu connaissance de ces principes autoritaires et qu’il se les soit appropriés.

Premières difficultés et premiers succès. — En formant sa milice sur cette base tyrannique, on ne peut affirmer qu’Ignace avait prévu toutes les fautes et tous les crimes qui s’ensuivraient (certains de ses successeurs, tels que Lainez et Salmeron, ont d’ailleurs accentué encore ses tendances). Mais cet ancien officier, au tempérament dominateur, comprenait qu’il lui était

nécessaire de subordonner étroitement ses affidés pour arriver au but poursuivi.

Dès l’origine de la Compagnie, Ignace se heurte à la jalousie des autres congrégations, lesquelles voient d’un œil hostile surgir une concurrence qui menace d’être redoutable. Les Augustins et les Dominicains la combattent âprement, mais les « enfants d’Ignace » vont se défendre avec énergie et par tous les moyens.

Le 17 avril 1541, Ignace est solennellement reconnu comme Général de la Compagnie. Il le restera jusqu’à sa mort (Rome, 1556).

Le pape Paul IV lui-même prit ombrage de la Compagnie et tenta de modérer les ambitions envahissantes de ses dirigeants. Ignace était alors malade, à l’agonie ; il ne put organiser la résistance, mais il chargea son successeur Lainez de le faire à sa place.

Peu de temps après la mort d’Ignace, le pape Paul IV mourut à son tour, en effet, et miraculeusement. Ses neveux (dont l’un était cardinal) furent jetés en prison et livrés au bourreau. Les crimes qui leur étaient reprochés étaient pourtant communs à toutes les familles des papes qui se succédaient alors sur le trône de saint Pierre, donnant au monde le spectacle des pires immoralités et des crimes les plus éhontés. La Compagnie, non seulement était vengée, mais elle avait montré sa puissance. D’ores et déjà, elle est décidée à se frayer la voie, sans hésiter sur le choix des moyens à employer.

Sur son lit d’agonie, Ignace fait déployer une carte du monde, sur laquelle les établissements des Jésuites sont marqués en rouge. Le P. Bobadilla les lui indique : 12 provinces ; 100 maisons ou collèges ; des milliers de membres répandus partout. Ce résultat avait été réalisé dans une courte période de 16 années seulement.

En 1609, c’est-à-dire 53 ans après sa mort, Ignace sera béatifié et sa Compagnie, continuant de grandir, comprendra 33 provinces (au lieu de 12), 356 maisons ou collèges (au lieu de 100) et plus de 11.000 membres…

Nos sources. — Nous allons à présent étudier, successivement, le fonctionnement de la Compagnie, son esprit, ses principes, son œuvre — à travers l’histoire, empruntant les éléments de notre récit à toutes les sources impartiales et véridiques.

Il existe, on s’en doute, un grand nombre d’ouvrages rédigés à la gloire de l’illustre Compagnie. Ils suintent le mensonge à toutes les lignes et ils dénaturent les faits d’une façon systématique.

Le pape Clément XIV (qui prononça la dissolution des Jésuites) a pu dire avec raison que c’était l’orgueil qui avait perdu la Compagnie. Les Jésuites se sont grisés de leurs succès. Ils ont mis leur Compagnie au-dessus même de l’Église.

Le P. Suarez dit « qu’un procès instruit, en demeurant dans son humble état, est plus utile à l’Église que s’il avait accepté un évêché ».

Le P. Lainez (qui succéda à Ignace), dans une lettre adressée à toute la Compagnie, déclare que « ni parmi les hommes, ni parmi les anges eux-mêmes, on ne saurait rencontrer un plus sublime office (que le leur) »…

Les sombres Jésuites se croient donc supérieurs aux anges eux-mêmes. C’est de la prétention.

« La Compagnie surpasse l’Église, tant parce qu’elle est le monument qui a révélé à la terre les merveilles du Christ, que par les prérogatives singulières qu’elle octroie et décerne à ses fils. Dans l’Église, le bon grain est mêlé à l’ivraie, et beaucoup y sont appelés, peu sont élus ; il n’en est pas de même pour la Compagnie, où tout est choisi, limpide, pur et exquis… Les missionnaires de la Compagnie sont des Hercules, des Samsons, des Pompées, des Césars, des Alexandres. Tous les Jésuites en général, sans aucune exception, sont des lions, des aigles, des foudres de guerre, la fleur de la milice de l’Église. Chacun d’eux vaut une armée… Saint Ignace dépasse et surpasse tous les fondateurs d’ordres