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bien (ou pour le plus grand bien) de la Compagnie. » Pour les Jésuites, c’est d’ailleurs la même chose, et la gloire de Dieu n’est pas séparable de la grandeur de leur Compagnie !

Rapide histoire de la Compagnie en Europe. — Les Jésuites ne tardèrent pas à mettre la main sur l’éducation (nous en reparlerons plus loin) et, à force d’intrigues plus ou moins sournoises, ils se développèrent tant et si bien, qu’un siècle seulement après la fondation de la Compagnie, sa bannière flottait sur le monde entier.

Leurs luttes contre la royauté française sont connues. Ils s’imposèrent en France par l’assassinat et se développèrent surtout sous le règne de Louis XIII, après le meurtre de Henri IV. Mais Richelieu, jaloux de son autorité, résista cependant à leurs exigences. Ils avaient déchiré la France en alimentant les guerres et les complots de la Ligue. Ils exciteront la répression contre les huguenots. Ils engageront contre le Jansénisme une lutte sans merci. (On connaît, sans qu’il soit utile de s’y attarder, la querelle de l’abbé Quesnel, les controverses de Port-Royal et du grand Arnaud, l’histoire de la bulle Unigenitus et les disputes fastidieuses sur le libre arbitre, la grâce divine, etc.).

Contempteurs du pouvoir quand ils n’en étaient pas les maîtres (allant même jusqu’au régicide, comme nous le verrons), ils deviennent les serviteurs et les apologistes de l’autorité royale absolue, dès qu’ils y ont intérêt.

C’est d’ailleurs sous le règne de Louis XIV qu’ils arrivent à l’apogée de leur puissance. Leur platitude à l’égard du « grand roi » ne connaît pas de limites. Le P. Daniel écrit une Histoire de France (qui lui valut faveurs et pensions) dans laquelle il va jusqu’à glorifier, pour plaire à Louis XIV, les bâtards royaux (doublement adultérins, pourtant) et à soutenir leurs prétentions. Les Jésuites n’avaient pas d’épithètes assez louangeuses pour célébrer le roi, qui, devenu vieux, était entre leurs mains le plus docile des instruments.

À cette courtisanerie, ils joignaient le conservatisme social le plus outrancier. Tout était parfait dans le royaume de France ; il n’y avait rien à réformer et il ne fallait toucher à quoi que ce soit.

La révocation de l’Édit de Nantes est leur œuvre, en grande partie. Dans leur collège de Louis-le-Grand, ils organisèrent une fête pour célébrer le « Triomphe de la Religion » glorifiant le roi d’avoir détruit plus de 1.600 temples protestants, le comparant à Dieu en personne, « pour sa rapidité à frapper l’hérésie ». Dans leurs collèges de province, feux d’artifices, cavalcades, représentations théâtrales et réjouissances de toutes sortes furent organisés. Jamais satisfaits, ils reviendront à la charge quelques années plus tard et demanderont de nouvelles rigueurs contre la « secte calviniste expirante ».

Louis XIV, gouverné par ses confesseurs jésuites (Le Tellier, La Chaise) est leur jouet. À sa mort, la Compagnie groupe 20.000 Jésuites et 1.390 établissements. Jamais elle n’a été aussi puissante.

Sous la régence, ils continuent et ils ont soin de munir Louis XV d’un confesseur jésuite. Néanmoins, ils ont trop abusé, trop exagéré. Les protestations s’élèvent de toutes parts contre leurs exactions et l’heure du déclin est proche.

La Chalotais dresse contre eux des Conclusions qui font un bruit considérable. On l’enferme (1765) puis on l’exile. Mais la vérité poursuit son chemin. Des rangs même du clergé et de l’épiscopat, des critiques se font entendre et l’on demande à la Papauté de prendre enfin des mesures contre cette secte néfaste.

C’est à ce moment que Voltaire écrivait à La Chalotais : « Vous avez rendu, Monsieur, à la nation, un service essentiel en l’éclairant sur les Jésuites. Vous

avez démontré que des émissaires du pape, étrangers dans leur patrie, n’étaient pas faits pour instruire cette jeunesse. »

Nous dirons aussi quelques mots de leurs méfaits dans les autres pays d’Europe.

Ils ont déchiré le Portugal (qui les avait pourtant accueilli en premier lieu, lors de leur fondation, et qui avait assuré leur réussite et leur fortune dans les Indes). Ils poussèrent l’Espagne à s’emparer du Portugal (le pays fut conquis par le féroce duc d’Albe). D’horribles massacres furent commis, mais le pape donna son absolution à Philippe II, bien que des milliers de prêtres et de moines portugais aient été mis à mort (1580).

Le Portugal retrouve son indépendance en 1640 — et les Jésuites (ils ont toujours un pied dans chaque camp) l’y aident. Mais ils ne devaient plus y retrouver leur ancienne faveur, car on les avait vus à l’œuvre. Le ministre Pombal chercha même à s’en défaire. Alors, ils essaient d’assassiner le roi, qui voulait garder Pombal (ce dernier, après la mort du roi, finira dans la disgrâce et la misère).

Ils ont appauvri et émasculé la Pologne d’une façon irrémédiable. ( « Aucun État n’a subi dans son développement l’influence des Jésuites d’une manière aussi forte et aussi malheureuse que la Pologne », a dit Bochmer). Ce pays n’est-il pas resté, aujourd’hui encore, inféodé au Jésuitisme le plus tyrannique ?

En Bohème, ils persécutent (après la guerre des Hussites) toute tentative faite pour ressusciter la langue tchèque et se font les complices de la tyrannie allemande.

L’archiduc d’Autriche Ferdinand, leur créature, élevé par eux, n’ira-t-il pas jusqu’à dire : « J’aime mieux régner sur un pays ruiné que sur un pays damné. » Et il persécuta et chassa les protestants de ses États (1598).

M. Schimberg (qui n’était pas de la Compagnie mais qui l’aimait beaucoup) raconte qu’à Schlestadt, les Pères avaient obtenu un arrêté interdisant aux cabaretiers de servir à boire dès que la cloche de l’église avait sonné. Il n’est pas nécessaire d’aller si loin chercher de tels exemples, car en France même on agissait de façon identique. J’ai trouvé récemment à Chaumont un règlement permanent général de police dont l’article 6 dit : « Il est défendu aux hôteliers, aubergistes, cabaretiers, logeurs et cafetiers de tenir leurs établissements ouverts pendant les offices les dimanches et jours de fête reconnus par la loi. » Cet arrêté est basé sur la loi du 18 novembre 1814 (article 3) et l’on y reconnaît la pure inspiration des Jésuites, qui devait, sous la Restauration, se manifester si brillamment (Le Républicain de la Haute-Marne, 15 novembre 1851, — ledit arrêté était encore appliqué en certains endroits à cette époque !).

Les Jésuites ont approuvé l’extermination des Vaudois (Savoie) par le fer et par le feu « comme une œuvre sainte et nécessaire » (Bochmer).

Ils ont ensanglanté l’Irlande et l’Angleterre, les Pays-Bas, la France, le Portugal, la Pologne. Ils ont asservi et ravagé les Indes, le Japon, la Chine, le Paraguay, le Mexique. Partout où ils ont pu pénétrer, ce fut pour accomplir une œuvre odieuse de domination et de mort.

Les Jésuites en Asie. — L’un des premiers collaborateurs d’Ignace, François Xavier, était un homme intrépide et intelligent, dévoué et actif, aimant les courses aventureuses. Ignace l’avait connu professeur de philosophie au Collège de Beauvais. Il en fera un missionnaire et l’enverra conquérir à la Compagnie les contrées lointaines d’Asie.

Grâce à l’appui du gouvernement portugais, qui facilita ses entreprises et le protégea militairement, François Xavier parcourut les Indes en tout sens pendant