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JES
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plusieurs années, convertissant les « idolâtres » par dizaines de milliers et les baptisant à « tour de bras », Conversions des plus superficielles, comme nous le verrons.

Xavier créa l’Inquisition dans les Indes et doit être regardé, par conséquent, comme responsable des brutalités qu’elle commit. Plusieurs peuplades, réfractaires au christianisme, furent massacrées par les conquérants portugais, dont saint François Xavier (car l’Église en a fait un saint) était l’auxiliaire.

Il passe ensuite dans L’Île de Ceylan, où ses prédications eurent encore le triste résultat de faire couler des fleuves de sang.

Pour arriver à ses fins, il employait tous les moyens. Par exemple, il écrit au roi du Portugal pour lui demander de punir et de révoquer certains gouverneurs des Indes qui le secondaient trop mollement. Il recommande à ses Jésuites, lorsqu’ils arrivent quelque part, de se renseigner sur les mœurs, le commerce, les vices régnants, etc. « La connaissance de toutes ces choses étant très utile », ajoute-t-il. La Compagnie a toujours su gouverner les hommes, en effet, en exploitant leurs vices, leurs faiblesses et leurs appétits.

Après une incursion à Malacca, il arrive au Japon, où il pénètre grâce à l’appui d’un criminel, qui le guide clandestinement. Il y reste deux ans, sans avoir obtenu de grands résultats, mais ayant préparé le terrain pour ses continuateurs.

Il meurt le 2 décembre 1552, en vue des rivages de la Chine (sans y avoir pénétré), âgé de 46 ans, après avoir parcouru l’Asie pendant 10 années.

(En 1612, on exhumera son corps et l’on en détachera un bras, sur l’ordre du général jésuite Aquaviva. Cette relique se trouve encore à Rome. Il y a 2 ou 3 ans, on la transporta à travers l’Espagne et l’Italie, afin de l’offrir à la vénération des fidèles. En plusieurs endroits, il en résulta des scènes de fanatisme écœurant et même des bousculades violentes, — ce qui prouve que les plus grossières superstitions sont encore enracinées profondément dans l’humanité).

J’ai dit plus haut que les conversions obtenues par les Jésuites étaient superficielles. En effet, ils se contentaient d’obtenir une adhésion de principe, sachant bien que, s’ils avaient voulu faire pénétrer intégralement les conceptions chrétiennes dans les cerveaux, ils n’auraient converti personne — et leur influence politique et sociale n’aurait pu se développer, par suite, aussi rapidement qu’elle le fit. Ils accommodèrent donc les dogmes chrétiens aux cultes locaux, afin de les faire accepter des « idolâtres ». On pourrait citer des exemples bien amusants de ces accommodements. Ils allèrent jusqu’à écrire, pour les Japonais, une histoire spéciale de Jésus-Christ, tout à fait différente de celle qui est enseignée dans nos pays par l’Église. Leurs exagérations furent si grandes qu’il y eut des plaintes et des enquêtes et que le Vatican fut obligé de sévir. Les rites malabares (Inde) et les rites chinois furent condamnés solennellement par Rome en 1645 — ce qui ne veut pas dire que les Jésuites les abandonnèrent totalement et immédiatement.

En attendant, ils avaient trouvé le moyen de rafler, non seulement dans les Indes, la Chine, mais le Tonkin, l’Annam, la Cochinchine, d’immenses richesses. Selon leur habitude, ils avaient concurrencé terriblement les autres ordres religieux ; ils obtinrent même du pape Grégoire XIII une bulle leur accordant l’exploitation exclusive des Missions au Japon. Il est vrai que cette bulle outrancière, qui fermait la porte aux religieux autres que les Jésuites, fut révoquée par les successeurs de ce pape trop docile.

Par leurs intrigues, les Jésuites troublèrent profondément le Japon. Ils contribuèrent à la révolte du roi d’Arima, qui fut décapité (tandis que le P. Morejon,

qui avait tout conduit, parvenait à s’échapper). Ils entretinrent les discordes intérieures, car ils en tiraient profit et chaque année ils envoyaient en Europe plusieurs vaisseaux entièrement chargés des produits les plus rares et de richesses inestimables. Ils annonçaient alors, avec fracas, que les chrétiens étaient plus de 100000 au Japon. C’était du bluff, mais ils commirent tant de méfaits que l’esprit public finit par se monter contre eux et que des persécutions s’ensuivirent. Elles furent sanglantes. Pour la seule année 1590, les Jésuites donnent avec orgueil le chiffre de 20570 martyrs chrétiens au Japon. Il faut espérer que ce chiffre est faux, car si la persécution avait atteint de pareilles proportions, toute la honte en rejaillirait sur la Compagnie de Jésus, qui en fut la véritable responsable par ses agissements provocateurs.

Quoi qu’il en soit, les Jésuites furent expulsés du Japon et en 1638 il n’y restait plus un seul chrétien. Le succès de l’Évangile avait été de courte durée et la parole du Christ d’amour et de bonté avait fait là comme ailleurs, beaucoup plus de mal que de bien.

J’ai dit que François Xavier était mort avant d’entrer en Chine. Ses successeurs furent plus heureux, mais ils durent surmonter bien des difficultés, car les Chinois se méfiaient énormément des Européens — en quoi ils n’avaient pas tort.

Le P. Ricci, très adroitement, sut vaincre les préventions chinoises ; il s’assura les bonnes grâces de l’empereur en réparant ses horloges (sic). Il était médecin, mécanicien, astronome, astrologue, horloger, et j’en passe. Les Jésuites surent se rendre utiles par de multiples talents et les Célestes, facilement émerveillés, leur laissèrent prendre pied dans la place. Le P. Cofler prédit l’avenir (merveilleux) d’un fils de l’Empereur et gagne ainsi ses faveurs. Plus tard, le P. Verbiest installe une fonderie de canons — tous les métiers leur sont bons pour arriver à leurs fins. Cela ne va pas sans vicissitudes, le P. Schall faillit être exécuté pour son avidité, les persécutions commencent (la Compagnie possède alors en Chine 151 églises et 38 résidences). Les chrétiens chinois ne sont chrétiens que de nom et continuent à participer à toutes les cérémonies païennes. Les Jésuites leur permettent même d’épouser leurs propres sœurs. Le pape Innocent X les blâme et leur ordonne de prêcher le dogme catholique dans son intégrité ; ils n’en tiennent aucun compte.

L’envoyé du pape, le cardinal de Tournon, fut même maltraité par eux. Ils excitèrent le gouvernement chinois contre lui et le firent expulser. Le malheureux vieillard mourut, prisonnier en quelque sorte des Jésuites, qui ne voulaient pas laisser revenir en Europe — et pour cause — un témoin aussi gênant de leurs turpitudes et de leurs crimes.

Avant de mourir, le cardinal de Tournon écrivit une lettre accablante contre eux. En voici un passage :

« On n’apprendra qu’avec horreur que ceux-là mêmes qui devaient naturellement aider les pasteurs de l’Église, les aient provoqués et attirés aux tribunaux des idolâtres, après avoir pris soin d’exciter contre eux la haine dans le cœur des païens et engagé les païens à leur tendre des pièges et à les accabler de mauvais traitements… »

Furieux de la désobéissance et de l’obstination des Jésuites, le pape Innocent XIII se disposait à prendre des mesures contre eux. Mais il mourut subitement… et providentiellement.

L’entreprise jésuitico-chrétienne se termina en Chine aussi piteusement qu’au Japon, après avoir fait couler, bien inutilement, des fleuves de sang.

Amérique du Nord. — Les Jésuites s’installèrent en Floride en 1566 avec les Espagnols, mais ils n’y firent pas grand-chose. Les Indigènes y étaient trop hostiles, ainsi que dans toute l’Amérique du Nord.