fait rien. C’est parmi ces hommes, qui n’hésitent pas à étaler leurs vices, que l’électeur doit choisir son représentant.
La place est bonne, car en dehors de la rétribution qui n’arrive certainement pas à payer les frais occasionnés par une élection, il y a les petits avantages cachés. N’est-ce pas un élu socialiste, du Conseil municipal de Paris, qui déclarait qu’un conseiller qui ne gagnait pas cent mille francs par an était un imbécile ? Que doit alors gagner un député ? La place étant bonne, on comprend que la bataille soit chaude.
L’électeur oubliant tout ce qu’il a souffert depuis des années, oubliant toutes les promesses qui lui furent faites précédemment et qui ne furent pas tenues — naturellement — se pâme devant l’éloquence de son candidat préféré. Il écoute avec avidité les paroles mensongères que lui débite son pantin, et alors que durant quatre ans il a vécu relativement en bonne harmonie avec son voisin, ce dernier devient tout à coup un ennemi parce qu’il entend porter ses suffrages sur le nom d’un autre forban.
Avec la diffamation, la corruption est un des plus puissants facteurs de réussite, aussi ne se gêne-t-on pas pour en user en période électorale. La sincérité n’a pas d’importance et n’entre même pas en jeu, et moins l’on est sincère, plus on a de chance de triompher. Tous les moyens sont bons et les consciences s’achètent comme une vile marchandise.
Et cela est logique ; car qu’est-ce, en réalité, une élection, sinon une bataille que se livrent des colporteurs qui représentent des maisons différentes. L’idée, la doctrine ne sont que des paravents derrière lesquels se cachent des appétits, et le candidat n’est jamais qu’un homme de paille au service d’une entreprise commerciale, industrielle ou financière. C’est cela que l’électeur ne veut pas admettre.
Arrive le jour du suffrage. Fier du rôle qu’il remplit, l’électeur va voter et attend dans la fièvre le résultat de son geste. Il est dans la même situation que le spectateur qui, n’ayant pas joué, attend sur un champ de course l’arrivée du gagnant. Que peut lui importer que ce soit l’un ou l’autre qui arrive le premier, que ce soit le rouge ou le noir qui franchisse le poteau, puisqu’il ne peut pas gagner ? Mystère. L’électeur éprouve probablement des sensations que nous sommes incapables de ressentir ; il est peut-être pourvu d’un sens supplémentaire qui nous manque à nous, les profanes. Qui sait ? Bref, il attend, chez le marchand de vin le plus souvent, car l’élection est une occasion de beuverie, et lorsque arrive jusqu’à lui le résultat, c’est du délire et du désappointement selon que son candidat est vainqueur ou vaincu.
Il y a parfois match nul, alors la comédie recommence. Mais, dans les coulisses se prépare une mise en scène particulière, car la représentation ne peut avoir lieu que deux fois. Le scrutin de ballottage n’est qu’une question d’argent, et ceci est si brutal qu’il est inconcevable que l’électeur ne s’en aperçoive pas.
Supposons un candidat ayant obtenu au premier tour de scrutin un millier de voix, un second candidat 800 et un troisième 500. Le troisième candidat a peu de chance d’être élu au deuxième tour de scrutin. Mais s’il favorise le second, c’est-à-dire s’il engage ses électeurs à voter pour lui, voilà que le premier candidat arrive bon dernier. Et on assiste à des revirements symboliques.
Tel aspirant député qui, lors de la campagne, accusait son adversaire de tous les délits, de tous les crimes, de toutes les infamies, se rapproche de lui au second tour et lui découvre des qualités politiques que l’on n’aurait pas imaginé une quinzaine plus tôt. Et l’électeur gobe tout cela, il l’accepte, il ne dit rien, il vote.
À quoi bon insister sur l’amoralité ou l’immoralité d’une élection. Il n’y a que celui qui le veut, qui ignore les tractations auxquelles donnent lieu les élections. Mais même au point de vue logique, en supposant qu’une élection offre toutes les garanties d’honnêteté, le résultat en est ridicule en soi. De nombreux exemples ont déjà été cités, dénonçant l’erreur sur laquelle repose le principe même de ce genre d’opérations ; ajoutons-en un à la liste déjà longue.
Le dimanche 12 décembre 1926, une élection partielle eut lieu dans le Nord. Il s’agissait de pourvoir au remplacement de trois députés. Quatre listes de candidats étaient en présence : la liste d’Union nationale républicaine, la liste socialiste ; la liste communiste et la liste des Républicains du Nord.
Or, voici les résultats de cette élection :
Inscrits : 516.148.
Suffrages exprimés : 431.683.
Liste d’Union nationale républicaine :
MM. Coquelle, 193.353 ; Carlier, 192.236 ; Coutel, 192.560. ÉLUS.
Liste socialiste :
MM. Inghels, 142.095 ; Salengro, 141.274 ; Delcour, 140.868.
Liste communiste :
MM. Thorez, 65.803 ; Bonte, 65.779 ; Declerq, 65.547.
Liste des Républicains du Nord :
MM. Desjardins, 30.548 ; Cellic, 30.274 ; Derenne, 30.333.
Or, si nous faisons une moyenne, nous constatons que les candidats élus ne représentent qu’une minorité. En effet, les candidats de la liste d’Union nationale républicaine ont obtenu une moyenne de 192.716 voix, alors que leurs adversaires réunissent un total de suffrages donnant une moyenne de 237.596 voix. Poussons plus loin et ne calculons que les voix obtenues par ceux qui se réclament de la classe ouvrière, et nous constatons que les suffrages exprimés nous donnent une moyenne de 207.121 voix ; et cependant, ce sont les 192.000 voix qui triomphent et les 207.000 qui sont battues. Oh ! logique électorale !
Nous ne voudrions pas accuser en vain de démagogues, les chefs de partis ouvriers qui entraînent à la foire électorale une foule de moutons. Mais tout de même, l’exemple que nous citons ci-dessus est symptomatique. Si l’intérêt de la classe ouvrière était le seul sentiment qui anime les candidats, comment se fait-il que ceux du Parti socialiste ne se soient pas effacés devant ceux du parti communiste ou réciproquement ? Si le parlementarisme n’est pas une comédie — et c’est ce qu’ils affirment — alors les uns et les autres ont favorisé le jeu de la réaction en laissant pénétrer dans l’enceinte législative des adversaires des classes travailleuses.
Des faits semblables à celui-ci sont légion et il serait facile de les multiplier. Mais à quoi bon, celui-ci suffit et suffira, pensons-nous, à tous ceux qui cherchent à s’instruire et à œuvrer utilement à la rénovation sociale. Les élections n’ont qu’un but : tromper la population et lui faire croire qu’elle est maîtresse de ses destinées, et la population se laisse prendre à cette glu.
Il faut avouer que le peuple souverain commence à ne plus être dupe de tous ces simulacres et que de jour en jour, le nombre d’électeurs diminue et que le nombre d’abstentionnistes augmente. Les partis politiques sentent que leur autorité s’affaiblit et que bientôt le pouvoir qu’ils exercent leur échappera totalement. C’est pourquoi certains partis d’extrême droite ou d’extrême gauche empruntent une tactique électorale tout à fait inattendue. De même que nous avons les