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JEU
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jusqu’à le déclarer dieu. Marc, Mathieu, Luc, ne le considèrent point comme tel ; dans leurs trois Évangiles, appelés synoptiques parce que l’ordre de leurs récits se ressemblent et qu’on peut les imprimer sur trois colonnes, Jésus annonce seulement l’avènement prochain du royaume de Dieu. Mathieu rapporte qu’il défendit à ses disciples de l’appeler Christ ; et ses contemporains ne l’accusèrent point de s’être déclaré l’égal de Jahvé : l’expression « fils de dieu » étant synonyme, dans la Bible, de saint et de prophète. « C’est seulement dans l’Évangile de Jean, écrit Loisy, que les discours et les miracles du Christ tendent à prouver sa mission surnaturelle, son origine céleste et sa divinité. » Or on sait combien postérieur aux autres ce quatrième Évangile, dont l’auteur, un asiate inconnu, exprime les idées de communautés encore peu nombreuses. La condamnation des doctrines ariennes au Concile de Nicée, en 325, marqua le triomphe de la croyance en la divinité du Christ. Mais rien de définitif sur notre globe ; la religion n’échappe point à la loi commune, et l’exégèse biblique, dont l’oratorien Richard Simon peut être considéré comme l’un des principaux promoteurs au xviie siècle, devait, après bien des recherches et de nombreuses étapes, aboutir à considérer Jésus comme un personnage légendaire ou même comme une création mythique n’ayant jamais eu d’existence hors de l’esprit halluciné des premiers chrétiens. — L. Barbedetie.

Ouvrages a consulter. — Revue de l’Histoire des religions (essentielle pour connaître les progrès de l’exégèse). — Strauss : Vie de Jésus (traduit de l’allemand). — Renan : Vie de Jésus, etc. Abbé Loisy : nombreux ouvrages : Autour d’un petit livre ; Le quatrième Évangile ; Les Évangiles synoptiques, etc. Guignebert : Manuel d’histoire ancienne du christianisme, etc. Harnack : ouvrages allemands. — Alfaric : Études de la Revue de l’Histoire des religions. — Couchoud : Id. (sa thèse sur la non-existence de Jésus aura fortement contribué, quoi qu’on en pense, au renouvellement des études exégétiques). — Han Ryner : Le cinquième Évangile. — H. Barbusse : Jésus. — Malvert : Science et religions ; Jésus-Christ a-t-il existé ? — Ch. Virolleaud : La Légende du Christ. — Emilio Bossi : Jésus-Christ n’a jamais existé. — De Renesse : Jésus, ses apôtres, ses disciples. — Stefanoni : Jésus (Dictionnaire philosophique) ; Histoire critique de la superstition. — Ernest Havet : Le christianisme et ses origines. — César Cantu : Histoire universelle. — Binet-Sanglé : La folie de Jésus. — Stéphane Servant : étude de la Revue intellectuelle (juin 1908). — J. Salvador : Jésus-Christ et sa doctrine. — Aug. Dide : La fin des religions. — B. Rogatcheff : L’Idole et sa morale. — H. Loriaux : L’Autorité des Évangiles. — Dupuis : Origine des cultes. — Paulus : Vie de Jésus. — A. Peyrat : Histoire élémentaire et critique de Jésus. — Rabbinowicz : Le Rôle de Jésus et des Apôtres. — A. Réville : Histoire du dogme de la divinité de Jésus-Christ. — — J. Soury : Jésus et les Évangiles. — L. Martin : Essai sur la vie de Jésus. — P. de Règla : Jésus de Nazareth, etc.


JEU n. m. (du latin jocus). Ce mot est pris dans un nombre considérable d’acceptions. Le dictionnaire Littré en donne jusqu’à trente ; encore n’est-il pas bien certain qu’il n’en omette aucune. Je me fais un jeu de les reproduire ici : 1° Action de se livrer à un divertissement, à une récréation. — 2° Action de se jouer. — 3° Jeu de mots. — 4° Les Jeux, divinités. — 5° Amusement soumis à des règles et auquel il s’agit de se divertir sans aucun enjeu. — 6° Amusement soumis à des règles et auquel on hasarde ordinairement de l’argent. — 7° Académie des jeux ou jeux publics. — 8° Les règles d’après lesquelles il faut jouer. — 9° Assemblage des cartes qui, données à chacun des joueurs, lui servent à jouer le coup. — 10° Ce qui sert à jouer à certains

jeux ; jeux de cartes, de dés, etc. — 11° Jeu de contremarques. — 12° Ce que l’on risque au jeu. — 13° Jeu de Bourse. — 14° Nom des divisions de la partie au jeu de hasard. — 15° Lieu où l’on joue à certains jeux : jeu de boules. — 16° Courses, luttes, etc. — 17° Les jeux de prix. — 18° Jeux floraux. — 19° Les jeux de la scène. — 20° Le maniement des hautes armes. — 21° La façon de faire des armes. — 22° Manière de jouer d’un instrument de musique. — 23° Manière dont un comédien remplit ses rôles. — 24° Différentes expressions que prend la physionomie. — 25° Le jeu de la lumière. — 26° Aisance de mouvement. — 27° Action d’un ressort. — 28° Jeu d’eau ; jeu de voiles. — 29° Jeu d’orgue ; espèce de soubassement. — 30° Jeu de bief.

Ces jeux sont trop pour que nous nous arrêtions à chacun d’eux. N’en commentons que quelques-uns. Il est dans la nature humaine de chercher à se récréer. Se divertir est un besoin et lorsqu’on a consacré au travail les forces physiques ou les énergies intellectuelles dont on dispose, il est agréable et utile de s’arrêter où commence le surmenage et même la simple fatigue et de demander au jeu le délassement nécessaire. J’ai constaté que les enfants qui, à l’étude, sont les plus attentionnés sont ceux qui, au cours des récréations, se livrent aux jeux avec le plus d’entrain. J’ai remarqué aussi que les adultes qui travaillent prennent aux divertissements plus de plaisir que les oisifs. Les jeux qui ne comportent aucun enjeu ne se jouent guère qu’en famille ou entre amis intimes. Ceux qui se jouent entre personnes plus ou moins étrangères les unes aux autres entraînent presque toujours des chances de gain et des risques de perte. Il y a même des jeux qui seraient sans attrait et totalement délaissés, s’ils n’étaient pas l’occasion de gagner ou de perdre de l’argent. Pour tout dire, nul ne s’aviserait de les trouver intéressants s’ils n’étaient intéressés.

Les champs de courses, les casinos, les cercles qui sont fréquentés par des centaines de milliers de personnes verraient tomber à presque rien leur clientèle, si l’appât du gain disparaissait. Pendant l’année 1927, le montant des paris engagés sur les champs de courses s’est élevé, en France, à la somme énorme de trois milliards sept cent mille francs. Ce chiffre ne représente que les paris enregistrés et contrôlés par le Pari Mutuel. Les paris engagés par ailleurs plus ou moins clandestinement ont certainement, au dire des personnes les mieux renseignées, atteint, sinon dépassé cette somme ; en sorte que, additionnées, ces deux sommes forment le joli total de sept milliards et demi.

Dans certains cercles et casinos, on voit, au cours d’une seule nuit, s’édifier ou s’effondrer de véritables fortunes. Tous les journaux ont raconté que, au Casino de Deauville, le fameux Citroën, le capitaine d’industrie bien connu, trop connu même par le rendement qu’il exige des trente mille travailleurs qu’il occupe et les faibles salaires qu’il leur consent, a gagné un jour trois millions et en a perdu huit la nuit suivante. Il aurait tout aussi bien pu laisser sur le tapis vert une somme double : ses ouvriers ne sont-ils pas trop flattés et heureux de combler les différences de ce casse-cou ?

Et pourtant ces sommes déjà quasi fabuleuses ne sont rien auprès de celles que la spéculation engage sur les marchés de la Bourse : bourse des valeurs ou du commerce. Incalculable est chaque jour le montant de ces spéculations. D’une part, l’enjeu ne saurait être limité au gré du joueur qui, spéculant sur la hausse ou sur la baisse, ne peut pas plus prévoir où s’arrêtera celle-ci que celle-là. Sans doute, il peut donner à son agent de change, à son coulissier ou à sa banque l’ordre de vendre à tel prix ou d’acheter à tel autre prix. Mais dans la pratique, le gros spéculateur une fois engagé ne se retire pas et garde la position qu’il a prise en Bourse jusqu’à ce qu’il ait totalement épuisé ses dispo-