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d’énergie… on ne peut évidemment pas nier une adaptation fonctionnelle individuelle, mais la forme, mais la fonction traduisent-elles une tendance vers un but déterminé ?… Si l’adaptation au milieu était une propriété essentielle des êtres vivants, on n’assisterait pas, aux diverses époques de l’histoire de la Terre, à d’effroyables hécatombes d’espèces animales et végétales. Le nombre des formes qui subsistent est infiniment petit par rapport à celui des formes qui ont vécu, et le nombre des formes qui ont vécu est lui-même infiniment petit par rapport au nombre des ébauches manquées. »

En résumé, le point de vue téléologique, finaliste, semble bien condamné par la science : le moins qu’on en puisse dire c’est qu’il est extra-scientifique et métaphysique. Du finalisme qui cherche son explication dans l’adaptation et l’hérédité, on passe, par des transitions insensibles, à l’idée des harmonies providentielles de la nature, puis à celle d’un Dieu tout-puissant.

Même dans les milieux révolutionnaires on ne se rend pas toujours suffisamment compte du danger d’un langage finaliste. Tel éducateur profondément irréligieux ne se doute pas qu’en disant, par exemple, à ses élèves : « certaines plantes ont des couleurs brillantes pour attirer les insectes qui assurent leur fécondation », il tient un langage finaliste, non scientifique, car la science permet seulement de dire : « certaines plantes ont des couleurs brillantes et attirent les insectes qui assurent leur fécondation. » Or tenir le langage finaliste que nous avons signalé appuie l’explication religieuse : Dieu a donné aux plantes des couleurs brillantes, etc.

L’explication même du mot « finalité » dans cette Encyclopédie pourrait provoquer une équivoque regrettable, parce que profitable à l’idée religieuse. L’homme qui agit en vue de la réalisation d’un but généreux, d’un idéal, est bien déterminé, en apparence, par une fin, mais cette fin a été déterminée, choisie par lui, antérieurement à l’activité qu’il déploie pour l’atteindre, autrement dit la cause réelle de son activité est antérieure à l’activité elle-même, il n’y a pas finalité.

Cette digression, que nous avons faite à propos de la finalité, n’avait pas seulement pour but de mettre en garde contre une doctrine chère à tous les esprits religieux. Nous avons voulu montrer qu’en se plaçant à un point de vue finaliste et fonctionnel on oublie qu’il peut y avoir chez les individus des fonctions, des activités inutiles, voire nuisibles. Il n’est pas prouvé qu’en éducation il faille suivre toujours la nature. Il est fort possible que le jeu ne serve parfois à rien du tout ou soit même nuisible. On ne saurait, par exemple, justifier par le finalisme certains jeux brutaux ou grossiers ni même les jeux de hasard. L’éducateur ne doit, par suite, pas tolérer de tels jeux favorables au développement d’instincts primitifs que l’éducation a pour but de faire disparaître.

Après avoir observé que le jeu était parfois inutile, ou même nuisible, nous pouvons reconnaître que, dans la plupart des cas, il est réellement utile et chercher : A quoi sert le jeu ?

Il constitue d’abord un délassement. Cependant il faut observer que le jeune enfant joue dès son réveil, alors qu’il n’est pas fatigué, et qu’il peut se fatiguer au jeu comme au travail, bien que la fatigue se produise moins vite dans le jeu.

Il sert parfois à dépenser un superflu d’énergie, mais l’enfant convalescent n’attend pas d’avoir des forces en excès pour se mettre au jeu.

Le psychologue américain Stanley Hall a expliqué le jeu par une théorie de l’atavisme. L’individu reproduisant en raccourci l’évolution de l’espèce, le jeu serait la reproduction passagère d’activités des générations passées. Il est vrai que les jeux de l’enfant « évoluent au cours de l’enfance à peu près de la même façon qu’ont évolué les activités similaires au cours de l’évo-

lution de l’humanité », mais les tout jeunes enfants se livrent aussi à des jeux qui reproduisent des activités modernes. Dans ce cas il y a de leur part imitation et imagination, — fiction comme le dit Claparède.

Karl Groos, après avoir étudié les jeux des enfants et des animaux, a conclu que le jeu était un exercice de préparation à la vie de l’adulte. De la théorie de Karl Groos il faut rapprocher celle de Carr qui voit dans le jeu un stimulant de la croissance des organes et aussi un entretien, un renforcement des habitudes nouvellement acquises. Carr et Groos admettent aussi que le jeu a une action cathartique, c’est-à-dire purgative ; le jeu ne supprimerait pas les tendances nuisibles, il les canaliserait, les dériverait de telle façon qu’elles deviennent inoffensives. Ainsi l’instinct combatif qui place des adversaires l’un contre l’autre peut être dérivé par une lutte parallèle qui ne met pas directement les adversaires aux prises (concours de vitesse, de saut, de natation, de lancement du disque, etc.) ; ou encore par une lutte contre un adversaire fictif, contre une difficulté (ascension dans les montagnes, etc.). « Les tendances sexuelles, écrit Claparède, donnent lieu à un certain nombre de jeux, comme la danse, le flirt, etc., dont la fonction cathartique est évidente, surtout au moment de la puberté ; en donnant issue, d’une façon innocente, aux exigences du plus violent des instincts, ces jeux sont comme une soupape de sûreté ; ils évitent aux jeunes gens des catastrophes, tout en leur faisant acquérir la connaissance du sexe opposé, connaissance assurément utile, puisqu’elle guidera plus tard le choix d’un époux et d’une épouse. » On ne peut lire ceci sans songer à la lutte du catholicisme contre la danse.

Clarapède et quelques autres auteurs pensent enfin que le jeu est une dérivation par fiction des activités que l’individu ne peut exercer dans la réalité.

On peut ajouter encore que le jeu agit parfois comme divertissant, comme agent de transmission des idées et de développement social.

III. — Evolution et formes du jeu. — Le jeu suit l’évolution des intérêts de l’enfant. « A mesure qu’il aspire à une nouvelle acquisition, il cherche à la réaliser dans ses jeux, la perfectionne ainsi, puis l’abandonne lorsqu’elle est fixée et n’offre plus pour lui d’attraits nouveaux. » (Vermeylen).

Les jeux sensoriels qui apparaissent les premiers, consistent dans le plaisir qu’ont les enfants à éprouver des sensations et à se les donner eux-mêmes. Les crécelles, les musiques, les jeux bruyants plaisent, pour cette raison, aux tout petits ; plus tard on retrouve encore, mais plus rarement, de tels jeux.

Les jeux moteurs prédominent de 1 à 5 ans, l’enfant aime le mouvement pour lui-même. La course, le saut, le lancer des pierres, etc., ne sont pas les seuls jeux moteurs, il faut y ajouter l’exercice des organes vocaux : phrases difficiles à prononcer vite, par exemple : « Chasseurs, sachez chasser sans chien », etc. L’enfant plus âgé a aussi, mais dans une plus faible mesure, ces jeux moteurs : balle, tonneau, sports, etc.

Les jeux moteurs qui sont des mouvements de décharge, développent la coordination des mouvements, leur rapidité ou leur force.

Les jeux intellectuels. — Parmi ces jeux il faut faire une place à part aux jeux d’imagination qui deviennent prépondérants vers trois ans. « C’est à ce moment que la petite fille s’intéresse à sa poupée et la considère comme son enfant, que le petit garçon joue au cheval avec un simple bâton, ou au soldat avec un bonnet de papier. » (Vermeylen). Plus tard, l’enfant imagine des scènes plus impressionnantes à la suite des histoires qu’on lui a racontées ou qu’il a lues, il dramatise les contes ou les récits historiques. M. Meynell fait observer que « les enfants aiment les contes de fées, non parce qu’ils les