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fleur de l’institution ! — les licteurs du pouvoir exécutif, la tourbe des gens de basses œuvres : la police, le mouchard, leurs adjuvants et leurs succédanés. Il vous faut la prison, — cet enfer temporel, — sa chiourme, son ombre, ses moiteurs, ses angoisses, sa pourriture, il faut — autour de la répression — « l’université du crime » et sa pestilence bacillaire… Et il vous faut — ils se traînent, embrassés, sa chair s’amalgame à ses os : le Moloch-gouvernement avec ses impôts et ses sbires, sa dictature et ses chaînes !

Mais nous rejetterons le Code et les sanctions comme nous avons rejeté le Pouvoir et la Loi. Nous chercherons hors de la justice punitive, comme hors de l’État et de ses cadres jugulateurs, les sources et les voies d’une justice véritable et d’une sociabilité rationnelle et féconde. Gardons-nous des formules et des organisations de la justice. Développons seulement l’esprit et les mœurs de l’équité jusqu’à la rendre naturelle. Souvenons-nous, avec Proudhon, que les peuples les plus moraux et les plus paisibles, les plus heureux aussi sont « ceux où la justice intervient le moins dans l’activité personnelle ; où l’autorité se fait le moins sentir ; où l’individu a le plus de ressort, où les rouages administratifs sont les moins nombreux, et les impôts les moins lourds et les moins inégaux ; où les associations, les conventions et les transactions sont le moins entravées ; ceux enfin qui approchent le plus de cette solution, dans les limites du droit : tout par la libre et perfectible spontanéité de l’homme ; rien par la force ! » — Stephen Mac Say.

JUSTICE (Historique des institutions de). Malgré les efforts des chercheurs et les travaux des historiens, nous connaissons mal les civilisations anciennes. La terre les a ensevelies sous ses sables et sous sa glèbe. La terre boit les peuples et leur gloire éternelle, comme elle réserve sa surface à l’agitation des vivants. Seule l’imprimerie sauve les institutions de l’obscurité ou de l’oubli, procédé simple qu’il a fallu tant de siècles pour découvrir…

« Dans les commencements de la société, la justice était exercée sans aucun appareil par chaque père de famille sur ses femmes, ses enfants, ses petits-enfants et ses serviteurs, Lui seul avait sur eux le pouvoir de correction, et ce pouvoir allait jusqu’au droit de vie et de mort. Chaque famille formait ainsi un petit peuple dont le chef était à la fois le père et le juge. Mais bientôt, les familles s’étant réunies, on éleva une autorité souveraine au-dessus de celle des pères, qui cessèrent alors d’être juges absolus, comme auparavant, sur les personnes et sur les choses. Néanmoins, en présence de la justice publique même, ils purent encore exercer une justice particulière (ou domestique) qui était plus ou moins étendue, selon les usages de chaque peuple. » Ce gouvernement de famille se confondait ainsi, dans le principe, avec l’administration de la justice.

Les peuples de l’antiquité, dont la vie sociale s’est répercutée dans la nôtre par des vibrations directes ou indirectes, ont eu une conception très différente de la justice en elle-même, c’est-à-dire de ce qui était dû à l’individu et de la façon dont la justice devait être exercée ou distribuée. La conception autoritaire de la justice est que l’ensemble des êtres constituant le corps social doit imposer sa loi à chaque unité composant cet ensemble. C’est le tout qui doit veiller à son propre équilibre, or si cet équilibre est menacé ou lésé par l’infraction d’un seul, le tout ne pouvant à tout instant s’occuper du détail, quel sera le juge, mandataire ou exécuteur de la loi ?

A chaque époque, la Loi s’inspire de l’idéal social d’après lequel le corps social a réglé sa vie et son destin. Ici elle est religieuse, là militaire, ailleurs agricole,

basée sur la propriété. Et la justice est conditionnée d’après la latitude que la vie du corps social laisse aux mouvements des individus.

« Aux sources de l’histoire, Moïse passe pour avoir été le premier qui ordonna la justice parmi les Juifs. Après lui vinrent les juges ou chefs militaires qui exercèrent le pouvoir, irrégulièrement d’ailleurs et sur quelques tribus, jusqu’à la royauté. Ils étaient élus par tous les citoyens et jouissaient de l’autorité souveraine, temporaire ou à vie, sans avoir toutefois le droit de percevoir l’impôt et de créer des lois nouvelles… La justice fut établie en Égypte par Ménès, qui en devint le premier roi ; en Grèce, les premiers qui gouvernèrent furent les législateurs, plus connus sous le nom de prytanes et de nomophylaques, ou protecteurs des lois ; enfin, à Rome, ceux qui appliquaient la justice étaient des rois et des sénateurs qui déléguèrent, dans la suite, leur autorité à des proconsuls, à des préteurs, à des préfets du prétoire, à des patrices, des ducs, des comtes, des centeniers, etc. »

Chez les Hébreux, la justice destinée à régler les conflits privés n’est guère qu’un arbitrage. Le tribunal ordinaire est une sorte de grand collège de prud’hommes. Sur la liste de ses membres, les plaideurs choisissent chacun un juge, et ces deux juges, pour se départager, en élisent un troisième.

Mais s’agit-il de juger les causes politiques, les crimes d’État, les atteintes à la Loi religieuse, parce que ses rites en raison de leur influence et de leur retentissement sont plus graves, s’agit-il de faire comparaître un sénateur, un chef militaire, un prophète, l’institution de la poursuite et la connaissance de la cause appartiennent au grand conseil, ce grand conseil ou Sanhédrin, qui joua un rôle si considérable dans l’histoire en provoquant l’arrestation de Jésus-Christ, ce rêveur sans importance, interrogé par les scribes en Galilée et laissé libre d’évangéliser les simples, mais devenu séditieux après ses incartades à Jérusalem, pendant l’époque tolérante de la Pâque, amené à Caïphe et déféré à Ponce Pilate, malgré Ponce Pilate lui-même, comme perturbateur politique : il se disait le roi des Juifs et discutait sur le tribut qu’il fallait rendre à César.

Athènes avait ses archontes, juges élus, annuellement renouvelés. Ils recevaient les dénonciations publiques et les plaintes des citoyens. Les juges d’appel étaient les héliastes. Mais ce corps judiciaire était extrêmement « ouvert », si nous osons dire. Les héliastes n’étaient pas moins de six mille. Comme certaines villes qui ont presque autant de médecins que de malades, Athènes avait presque plus de juges que de plaideurs, en action. Cette multiplicité d’experts juridiques avait excité les sarcasmes d’Aristophane : on le voit dans ses Guêpes, d’où Racine a tiré, pour plaire à Louis XIV et seconder la réforme de la procédure, la classique pièce des Plaideurs.

La garde des lois et le culte des dieux étaient confiés à l’Aéropage devant lequel furent traduits Phryné, s’il faut en croire la fable, saint Paul, au témoignage de l’histoire : l’un et l’autre, mais de manière différente s’étaient montrés subversifs ; accusés d’impiété, ils ne furent pas défendus par les mêmes moyens.

Les historiens se déclarent impuissants à reconstituer et à décrire l’organisation de la justice à Sparte. Dans un pays où les biens étaient en commun et où les femmes étaient à tout le monde, les rixes étaient, sans doute, plus fréquentes et les procès moins nombreux. Les éphores avaient la charge de la sécurité générale, Rome, la patrie des grands juristes, Rome qui construisit le droit comme le pont du Gard, sur des piliers solides avec des arcatures savamment ordonnées, Rome avait fondé son pouvoir et son avenir sur la souveraineté auguste, majestueuse, homogène du « peuple