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romain ». La fameuse formule qui était l’intitulé des actes publics : le Sénat et le peuple romain (Senatus populusque Romanus, s. p. q. R.) n’était pas une fiction lapidaire, mais le résumé saisissant de l’organisation civique.

Rome eut donc tout d’abord ses magistrats élus par les assemblées populaires qui étaient les comices. Le nom nous est resté, nous disons encore les comices électoraux. Les comices romains furent au début les comices par curies, puis, après Servius Tullius, les comices par centuries qui se réunissaient au champ de Mars. Les historiens voient dans ces comices par centuries un amalgame tenté du peuple et des patriciens. Les deux magistrats qui étaient mis à la tête de la République étaient des Consuls, portant des sceptres d’ivoires surmontés d’aigles, précédés par les douze licteurs qui portaient les faisceaux. Ils avaient la « juridiction », c’est-à-dire qu’ils étaient les juges suprêmes, auxquels toutes les affaires judiciaires étaient déférées.

Mais la multiplicité des causes déborda cette omnipotence, et en l’an 388 nous voyons apparaître le préteur qui fut investi des fonctions judiciaires.

Le préteur recevait les parties, il lui était rendu compte de la cause ; il en appréciait la consistance et en vérifiait la nature ; suivant l’expression consacrée, il « disait le droit », après quoi il délivrait la formule, c’est-à-dire qu’il instituait le juge de son choix chargé de la décision à rendre.

En l’an 507, les étrangers qui affluaient à Rome étaient devenus si nombreux qu’il fallut créer pour leurs litiges, entre eux ou avec les nationaux, comme nous dirions aujourd’hui, un préteur spécial : le préteur pérégrin, auxiliaire, à ce titre, du premier préteur : le préteur urbain. Par la suite il y eut un préteur de chaque province.

Concurremment avec le préteur mais au-dessous de lui, la justice était rendue par l’édile qui avait à la fois des pouvoirs de police et des pouvoirs judiciaires. C’est à raison de ces pouvoirs de police étendus aux questions d’édilité urbaine que le nom d’édile se trouve attribué par assimilation à nos conseillers municipaux. Le peuple — nous disons le peuple par opposition aux patriciens — était divisé en tribus, quatre dans la ville, vingt-six sur le territoire environnant ; chacune de ces tribus élisait son magistrat (de là le nom de tribun). L’édile était chargé de régler les différends entre les tribus et de réprimer les attentats commis par les patriciens contre les plébéiens.

En France, pendant la période féodale et jusqu’à Philippe Auguste tout au moins, le droit de justice appartint aux seigneurs sur leurs terres. Ces terres étaient appelées alleux si elles avaient été conquises originairement par des chefs de bandes, et terres bénéficiaires si elles avaient été concédées par le roi à ses compagnons d’armes. Le fief était la terre concédée sous la condition que le preneur reconnaîtrait le bailleur comme son seigneur et maître, lui jurerait fidélité et s’engagerait envers lui à l’assistance par les armes de même qu’à certaines prestations. Nous ne saurions trop insister sur cette idée (déjà exprimée au mot CODE) que, sous le régime féodal, toutes les personnes vivant sur une terre étaient attachées à cette terre sous les ordres et la domination du seigneur.

Le roi, chef de la féodalité, avait ses prérogatives, d’où une distinction dans la justice. Il y eut deux justices : la Justice royale qui s’exerçait par le roi et les agents du roi, et la Justice seigneuriale. Ainsi, se créèrent les trois degrés de juridiction, le suzerain seul ayant le droit de haute justice, comprenant la moyenne et la basse, le seigneur intermédiaire, le droit de moyenne justice comprenant la basse, et le seigneur inférieur le droit de basse justice seulement.

Les progrès de la royauté emportèrent cet odieux régime qui favorisait l’arbitraire ; la monarchie fit triompher son adage que « toute justice émane du roi » et la justice, par délégation, se trouva concentrée dans les Parlements. Pour que cette assertion trop rapide et trop superficielle soit exacte, il faudrait tenir compte des tribunaux du Châtelet qui constituaient la juridiction criminelle et embrassaient aussi ce que nous appellerions le service de la sûreté.

La Révolution vida ces châteaux déjà démantelés, ces palais et ces bastilles. Dans l’enceinte de l’Assemblée Constituante une parole retentit, magnifique et formidable : « Nous sommes des dieux : nous avons un monde à refaire ! » C’était vrai. Il ne suffisait pas de refondre la justice, il fallait la créer, en une coulée de bronze neuf. La question se posa de savoir s’il convenait d’instituer pour les causes civiles le jury civil. L’impossibilité du système apparut dans la discussion. Le décret du 30 avril 1790 rejeta le jury civil, mais le torrent impétueux des idées, les souvenirs de la République romaine déterminèrent le mode de consécration et d’investiture des juges. La loi du 16 août 1790 édicta qu’ils seraient nommés par le peuple. La constituante de l’an 8 n’osa pas abolir ni la prescription ni le principe. La loi du 27 ventôse an 8 institua un tribunal de première instance dans chaque arrondissement et créa les tribunaux d’appel. Les juges ne purent être élus que pris sur des listes d’éligibles. La Restauration effaça le principe de l’élection, sauf pour les tribunaux de commerce, et le remplaça par celui de la nomination. — Paul Morel.

Quelques sens particuliers — anciens ou modernes — attachés au mot justice. — Justice distributive : qui fait à chacun et selon son mérite, une équitable répartition de peine ou de grâces. Justice commutative : qui a pour objet de rendre à chaque individu ce qui lui appartient, dans une juste proportion : elle opère principalement dans les affaires d’intérêts privés. Justice domestique : puissance déterminée que les pères ont sur leurs enfants, les maris sur leurs femmes, etc. Justice civile : celle qui s’occupe spécialement des contestations relatives à la nature, au partage ou à la possession des choses ; elle est, en général, du ressort des cours d’appel. Justice criminelle, la plus redoutable : celle qui prend connaissance des crimes et délits (voir ces mots et aussi pénalité, torture, question, etc.) et instruit contre les personnes suspectées : elle a pour interprètes la correctionnelle et la cour d’assises et s’appuie sur le code criminel et pénal. Justice fiscale, celle qui ordonne les poursuites pour le recouvrement de l’impôt. Justice municipale, celle des maires et commissaires de police. Justice militaire : juridiction d’exception qui soustrait à la compétence des tribunaux ordinaires les actes « délictueux » des soldats et des officiers. Les premiers sont ainsi jugés par leurs chefs et ceux-ci par leurs pairs. Ici des acquittements judiciairement scandaleux, là des condamnations monstrueuses.

Le Moyen Age, avec la féodalité, connaissait toute une hiérarchie de justice : justice royale ou rendue au nom du souverain par les prévôts, les baillis et les sénéchaux royaux, les présidiaux, les parlements et le conseil privé du roi ou conseil des parties. Cette juridiction s’étendit avec l’accroissement de la puissance monarchique. Justice féodale ou seigneuriale ou subalterne : celle qui s’attachait à un fief, à une seigneurie. La féodalité possédait ainsi la haute justice : du roi ou des seigneurs suzerains ; la justice du prince et des grands vassaux pouvait infliger toutes les peines y compris la peine de mort ; la basse justice, celle des seigneurs inférieurs ayant dans ses attributions quelques petits délits (jusqu’à l’amende de 10 sous parisis) et affaires civiles (jusqu’à la peine de 60 sous parisis) ; elle jouait auprès des