ment : chasser, expulser de l’organisme les matières nuisibles à l’entretien de la vie. Éliminer un « candidat », c’est-à-dire, l’éloigner, l’écarter, ne plus lui permettre d’être candidat. Éliminer un concurrent, un intrus, un gêneur, etc…
L’action d’éliminer est souvent nécessaire. Dans un concours, un examen, lorsque le nombre de candidats est supérieur à celui nécessité par un emploi, une charge, ou une fonction quelconque, on emploie le procédé d’élimination. On élimine les plus faibles des concurrents et le débat se poursuit entre les plus forts. Peut-être ne serait-il pas nuisible, non plus, de se livrer à un travail d’élimination dans le mouvement social, celui-ci étant infesté par un nombre incalculable de parasites. Si un jour le peuple, las d’être trompé, bafoué, vendu, éliminait de son sein tous ceux — et ils sont légion — qui ne songent qu’à exploiter sa naïveté et sa confiance, il arriverait plus rapidement au but qu’il poursuit.
Mais le peuple est aveugle, et ses yeux sont longs à s’ouvrir sur la vérité. Lorsqu’il comprendra, il éliminera tous les fantoches de la politique qui lui barrent la route de la liberté et de la justice.
ÉLITE n. f. Dans l’ancienne langue française, eslite, ou esliture, indiquait le choix de ce qu’il y avait de mieux, de meilleur, et aussi ce qui avait été choisi. On faisait l’élite d’une récolte, d’un troupeau, d’une bibliothèque. Dans le roman Yver, du xiiie siècle, on lit : « Puis fit élite entre les dames d’une qu’il estimait mieux mériter son service. » Dans celui de Berte : « Un mois vous doing l’ostel trestout a vostre eslite. » Montaigne a dit : « La prudence est l’élite entre le bien et le mal. »
A l’eslite signifiait : en bon état.
Mettre a l’eslite de, c’était : donner le choix d’une personne ou d’une chose.
L’adverbe eslitement correspondait à excellemment, parfaitement, extraordinairement, par choix.
Eliter avait, et a encore dans le langage populaire, le sens d’avilir, de déprécier par le choix qui fait retirer d’une marchandise ce qu’il y a de meilleur. Des fruits élités sont ceux qui restent après qu’on en a enlevé les plus beaux.
L’élite était donc, en vieux français, ce qui avait été reconnu le meilleur à la suite d’un choix. Aujourd’hui, on entend par élite « ce qu’il y a de meilleur et de plus digne d’être choisi ». (Dictionnaire de l’Académie Française). Elite n’est donc plus entendu comme le choix ou le produit d’un choix ; c’est ce qui est proposé au choix comme le plus digne. Mais proposé par qui et par quelle compétence pour désigner le plus digne ?… Cette définition absconse, quoique académique, qui nous présente l’excellence de l’élite comme le catéchisme nous affirme celle de Dieu, ne veut rien dire par elle-même. Elle dit beaucoup au contraire si on envisage l’application du mot « élite » dans le domaine social, car elle contient toute l’imposture de ceux qui se sont établis comme l’élite des hommes ; elle fait comprendre combien est conventionnelle et arbitraire la suprématie des prétendus « meilleurs », qui n’ont été nullement choisis, sauf par des pairs aussi indignes qu’eux d’être et de choisir les meilleurs.
Il existe indiscutablement une élite, ou plutôt des élites, parmi les hommes, suivant les différents plans où l’on recherche les meilleurs d’entre eux. Non seulement la nature ne les a pas faits tous égaux en qualités physiques — force, santé, beauté, — mais elle leur a distribué inégalement l’intelligence, le caractère et le sentiment. À chacune de ces qualités correspond un degré d’esliture, c’est-à-dire de bonté (voir ce mot), et les meilleurs, l’élite, sont ceux chez qui cette bonté prend sa plus complète expression.
Il y a une élite physique, celle des individus qui, aurait dit Bescherelle, « possèdent la bonté essentielle des êtres et des choses dans les attributs qui les constituent tels qu’ils sont ». Ce sont eux qui, physiquement, représentent les meilleurs sujets d’une race ou d’un groupe. On cherche à multiplier cette élite, par les sports chez les hommes, par l’élevage chez les animaux ; la fausse conception que l’on a de l’élite fait qu’on n’arrive le plus souvent qu’à les abrutir les uns et les autres.
Sur un plan plus élevé, que nous considérerons particulièrement chez l’homme, il y a une élite intellectuelle, celle qui élargit sans cesse le champ des connaissances humaines par ses recherches, ses observations, ses réflexions. Là encore, par la façon de répandre les connaissances de cette élite, afin de la rendre plus nombreuse, par le gavage intensif d’une foule de notions fausses et tendancieuses, on ne réussit qu’à former l’élite de l’abrutissement.
Il y a, enfin, sur un plan encore plus haut, l’élite morale. C’est seulement sur ce plan que se rencontre la véritable élite. Elle manque parfois de brillantes qualités physiques et intellectuelles, mais elle possède celles du cœur. La véritable élite est celle des hommes qui apportent les qualités des « meilleurs » dans leurs rapports avec leurs semblables — ce que Bescherelle appelait la « bonté relative » — et surtout la véritable bonté, celle qui emploie toute sa volonté et toutes ses forces à servir la vérité, la justice, la beauté, pour faire une œuvre utile aux hommes, au bien-être et au bonheur de tous.
Il n’est pas de véritable élite sans véritable bonté. On peut être un artisan obscur, un homme simple, un quelconque anonyme dans la foule, et être un individu d’élite, parce qu’on met dans son travail, dans sa vie privée, dans ses relations avec les autres, un souci constant de perfectionnement matériel et moral pour soi et pour autrui. Les époques les plus fécondes pour l’humanité ont été celles du travail anonyme où l’élite se confondait avec la foule et n’avait d’autre intérêt que le sien. Seules ces époques ont bâti des œuvres solides et durables, vraiment utiles aux hommes. Lorsqu’un individualisme orgueilleux a poussé certains d’entre eux à se placer au-dessus des autres et à exercer une autorité, il n’en est résulté le plus souvent que le malheur de tous. Il est faux de dire que le chien est fait pour être attaché, parce qu’il se laisse mettre un collier ; il est aussi faux de prétendre que l’homme a besoin d’être tenu sous le joug, parce qu’il subit l’esclavage. Il n’est pas d’autorité, hors celle de l’intelligence universelle, à laquelle il participe, qu’il doive accepter. Toute tutelle ne peut que lui être ennemie, toute coercition qu’il n’a pas méritée par un abus doit exciter sa révolte. Proudhon a parlé quelque part d’un paysan qui disait : « Quand je vire mes sillons, je me sens roi. » L’homme est roi dans toutes les formes de son activité, à condition que cette activité soit libre ; il n’est alors aucune élite au-dessus de lui. Le principe essentiel de la vie, pour tout être, c’est la liberté ; avec elle, il peut tout, sans elle, il ne peut rien.
Lorsqu’on est nanti des attributs, des titres, de la fortune, de la puissance, de la gloire, spéciales à l’élite officielle, celle que l’Académie Française suppose descendre d’on ne sait quel ciel et choisie par on ne sait quels dieux, il est bien difficile qu’on appartienne à la véritable élite et qu’on ne soit pas à un degré quelconque, volontairement ou à son insu, un malfaiteur social. Il y a incompatibilité absolue entre les deux élites, celle des tréteaux, de la vanité, et celle du travail, de la bonté. Comme l’a dit Cœurderoy, à l’encontre du dicton populaire : « l’habit fait le moine ». Celui qui est bon et qui accepte la livrée de l’élite offi-