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l’autre dans un temps où l’opinion ne s’émeut plus du scandale.

Le Krach peut se produire de différentes façons :

1° Une affaire sans valeur peut être soutenue par une habile publicité, être lancée par une presse « arrosée » pour l’introduction de ses actions en Bourse. Celles-ci montent rapidement jusqu’au moment où la presse adverse — celle qui n’a pas eu sa part du gâteau de lancement — vend la mèche, découvre le pot aux roses.

Alors se produit la chute verticale.

Les gogos sont « plumés ». Le banquier — ou l’affairiste — va en prison… pour quelques mois et non sans y être traité avec considération. Il en profitera pour échafauder une autre combinaison aussi fructueuse que la précédente. Il trouvera facilement de nouveaux imbéciles — ou les mêmes — pour lui apporter leur argent. Il retournera en prison… pour en ressortir, comme Rochette, et recommencera jusqu’à ce que, devenu riche, honoré et puissant, on le laisse exercer son industrie en paix.

S’il ne réussit pas, il sera aussi bête que ses dupes et finira parmi les déchets sociaux de tout acabit.

2° Une valeur est bonne. L’affaire est solide. Bien soutenue, elle monte rapidement jusqu’à ce que son lanceur gêne le clan des grands brasseurs d’affaires. Ceux-ci ont juré de casser les reins à l’imprudent qui se permet de « nager » dans leurs eaux ou de chasser sur leurs terres. Alors son compte est bon, quel que soit l’intérêt de l’affaire en cause.

Les « gros » achètent à tour de bras, par paquets, sur toutes les places du monde, s’il le faut, puis tout à coup, après avoir poussé à la hausse, vendu et racheté, ils jettent sur le marché un grand nombre d’actions, provoquent la baisse, l’effondrement, la panique.

Si le lanceur ne s’appuie pas sur un groupe puissant, s’il n’a pas « les reins solides », c’est l’écroulement, le Krach ; les baissiers rachètent et font une fortune, cependant que les naïfs sont dévalisés.

3° Il y a le Krach à la confiance, dont le prototype semble être celui de la Gazette du Franc. Une équipe de coupe-bourses lance une série d’affaires à cascades avec l’aval de personnes moyennes ; celles-ci, par relations, attirent des personnalités plus considérables, de premier plan, appartenant à tous les milieux : parlementaires, diplomatiques, religieux ; les sous-secrétaires d’État amènent les ministres et ceux-ci les anciens présidents du Conseil ; les amiraux, généraux, pêle-mêle avec les trafiquants décorés, apportent l’autorité de leurs grades et de leurs titres, toute la hiérarchie ecclésiastique recommande aux ouailles gobeuses cette opération « divine », les magistrats en exercice couvrent les forbans considérés ou, pour le moins, déblaient la route des difficultés légales.

Le groupe monte en épingle les déclarations de celui-ci, puis de tel autre, photographiés avec dédicaces à l’appui. Et la confiance resplendit. Les poires affluent Il y en a tant et tant que les malins peuvent faire un choix judicieux ; ne prendre que les plus belles.

Puis, un beau jour, le consortium des « gros » intervient, fait « coffrer » le gêneur et le tour est joué. Ainsi en fut-il avec Rochette, d’innombrables fois, et avec Madame Hanau.

Les krachs les plus célèbres, en France, furent : celui de Panama (1899 et années suivantes), dans lequel 104 parlementaires de tous les partis furent compromis (Arton était le grand metteur en scène de l’affaire) ; celui de Thérèse Humbert (1902-1903), dont le fameux coffre-fort contenant la fortune de Crawfork était l’instrument de travail ; et, plus près de nous, celui de la Gazette du Franc (1928-29), avec ses 48 p. 100 d’intérêt promis aux goinfres stupides par des malins bien patronnés. Et le krach des 4/5, par Poincaré (la fameuse stabilisation,

la légalisation du franc déprécié) qui est le « Krach des Krachs »…

Les autres pays ont eu, eux aussi, leurs « kracheurs ». Cette industrie n’est pas en décroissance, loin s’en faut. Elle fleurira, au contraire, sans cesse davantage et ne disparaîtra qu’avec le régime qui l’engendre. — Pierre Besnard.


KREMLIN (LE) ou LE KREML, n. m. Dans son poème intitulé Mil Huit Cent Onze, Victor Hugo a écrit ces vers :

      … Quand des peuples sans nombre
Attendaient prosternés sous un nuage sombre…
Sentaient trembler sous eux les États centenaires
Et regardaient le Louvre entouré de tonnerres
     Comme un Mont Sinaï.

Si l’on remplace Louvre par Moscou, on aura une idée des sentiments qui remplissaient les peuples orientaux quand le Kremlin était habité par les Empereurs autocrates de Russie, qui se faisaient couronner dans la Cathédrale de l’Assomption, au Kremlin. Les centaines de peuplades qui entouraient l’empire pouvaient tout craindre des caprices d’un Pierre Ier, d’une Catherine II, d’un Nicolas Ier, ces peuples voyaient toujours sur leurs têtes l’épée de Damoclès, c’est-à-dire une armée régulière énorme et des hordes de cosaques. Aucune sécurité pour ces peuplades d’origine, de langues, de religions diverses. La menace d’annexion, de massacres, était toujours présente. Le pouvoir des tzars étendait chaque jour ses limites. De la Pologne jusqu’à Wladivostok, d’Arkhangel jusqu’en Transcauscasie, toute liberté devait être écrasée par les despotes. Du Kremlin ou du Palais d’Hiver à Saint-Pétersbourg partaient les ordres les plus iniques qui étaient exécutés avec une rigueur impitoyable par les sicaires de Moscou. On voyait même des allogènes trahir leurs compatriotes, comme le Géorgien Dumbadzé, les Baltes Witte, Pahlen, le Polonais Koronowitch qui se mettaient au service des oppresseurs de leurs frères pour asservir d’autres nationalités et égorger d’innocentes populations.

Le Kremlin était devenu le symbole de l’autorité, comme pour le soldat le drapeau est le symbole de la patrie ou plutôt de l’autorité qui peut commander les plus horribles atrocités, présider aux conquêtes, aux occupations. Et les soldats, abrutis par ce symbole, sont prêts à sacrifier leur vie, mais surtout celle des autres.

Mais qu’est-ce proprement que le Kremlin ? Les historiens russes ne sont pas d’accord sur l’origine de ce mot. Il est pourtant probable que c’est un terme Mongol signifiant une ville fortifiée, dans le même sens que le mot Grad dans Delgrad (forteresse blanche), dans Tzargrad (la ville des Tzars), c’est-à-dire Constantinople, etc.

Il y a encore des Kremls dans plusieurs villes russes comme à Nijni-Novgorod. Les Kremlins servaient non seulement de citadelles, mais aussi de lieux de refuge pendant les guerres intestines et pendant les invasions des Mongols et des Tartares. C’est pourquoi ils étaient entourés de vastes enceintes de palissades et ensuite de briques, tandis que les villes et les villages ne contenaient que des maisons de bois, de pisé, de boue séchée. Au Moyen Age et même de nos jours, les populations menacées par des envahisseurs s’enfuyaient avec tout leur avoir derrière les murs des villes fortifiées, comme nous l’avons vu à Paris, à Belfort, à Besançon, etc.

Quand on parle de Kremlin, on entend généralement celui de Moscou ; c’est donc de celui-ci que nous parlerons. Le Kreml-Kremlin est situé sur une petite colline qui domine la rivière Moskva, dont les Français ont fait la Moscova — comme on dit la bataille de la Moscova, que les Russes nomment bataille de Borodino. –