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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/578

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Le jargon est une corruption de la langue par quelqu’un qui la parle mal. Le langage français « petit nègre » qui s’est implanté depuis la guerre est du jargon, comme le « bich la mar » que parlent les indigènes dans les colonies du Pacifique. Il est aussi le langage particulier adopté dans certains milieux. Dans cette application il convient mieux que le mot argot qu’il y a lieu de laisser dans son farouche emploi de langue de la misère. Il y a les jargons des gens de justice, d’affaires, de sciences, de lettres, les jargons mondains, politiciens, administratifs, sportifs et, en général, de tous les milieux où la malfaisance sociale, ne portant pas la tare de la misère, fait figure d’honnêteté.

Enfin, à côté des langues qui sont les moyens d’expression naturels des hommes et se sont formées suivant leurs conditions d’existence, il y a des langues artificielles, ou plutôt des essais plus ou moins réussis de langues artificielles. On a eu le projet de langue bleue, créée de toutes pièces, de Léon Bollack, et le volapük, de l’abbé Schleyer, dont le vocabulaire était germanique. L’esperanto, l’ido, l’universel, et d’autres sont de ces langues qui connaîtront peut-être un meilleur destin, grâce à l’idée qui s répand dans l’Internationale Ouvrière de la nécessité d’une langue universelle permettant à tous les peuples de s’entendre entre eux.

Ce qu’on appelle langue verte est un langage qui tient à la fois du parler populaire et de l’argot. C’est, dans le français, un choix d’expressions pittoresques du vieux langage parlé avant la réforme académique de la langue. Les Anglais ont leur argot qui est le cant et leur langue verte, qui est le slang. Lachâtre a composé un Dictionnaire de la langue verte.

Les langues liturgiques sont celles employées par l’Église pour ses cérémonies et ses prières. Le latin est la langue liturgique des catholiques romains.



Quelle est l’origine des langues ? La question est la même que celle de l’origine du langage. Elle est intimement liée à celle de l’origine de l’homme.

Avant toute étude linguistique, les imposteurs avaient beau jeu pour prétendre qu’il y eut une seule langue, créée avec le premier homme et parlée spontanément par lui. De même ils racontèrent chez chaque peuple que sa langue était à l’origine du langage humain. Hérodote a rapporté l’histoire bouffonne de Psamméticus, roi d’Égypte, prétendant que le phrygien était la langue originelle parce que deux enfants auraient prononcé le mot beccos (pain) en venant au monde. Les commentateurs de la Bible présentent de leur côté l’hébreu comme la langue originelle, celle qu’Adam aurait parlée dans le paradis terrestre. Comme il n’est pas de religion antique qui n’ait à son origine l’histoire de ce paradis, celle de la Bible n’étant qu’un plagiat d’autres plus anciennes, il s’ensuit que chaque peuple religieux avait la prétention d’habiter le pays du paradis terrestre, de descendre du premier homme et de parler la langue qui fut la première.

La recherche scientifique met peu à peu à leur place toutes ces sornettes, mais, n’existerait-elle pas que le simple bon sens dirait avec Voltaire : « Il n’y a pas eu plus de langue primitive, et d’alphabet primitif, que de chêne primitif et que d’herbe primitive. » Cette recherche établit de plus en plus que l’homme apparut sur la Terre en des points différents et à des époques qui ne peuvent être précisées, mais qui varièrent selon que les milieux furent plus ou moins favorables à sa formation. Et cela concorde avec l’absence de véritables rapports entre certaines familles de langues pour démontrer qu’elles n’ont pu avoir une origine commune.

Leibniz commença l’étude comparée des langues qui devait conduire aux connaissances actuelles. La découverte du sanscrit, langue morte qui serait bien supérieure au latin et même au grec comme « plus flexible, plus composée et plus complète » (Le Brocquys), fit modifier l’ancienne méthode, appelée ethnographique, de classement de langues, et adopter celle de la morphologie et de la généalogie. Par elle, on est arrivé à présumer qu’il y a cinq ou six sources des langues et des peuples qui se sont répandus et mêlés sur la Terre entière. Le sanscrit, par exemple, serait la langue-mère de celles de l’Inde, de la Perse et de toutes les grandes branches du langage européen.

On divise aujourd’hui les langues parlées sur la Terre en trois grandes classes :

1° Les langues monosyllabiques ou isolantes, dont les racines sont employées comme des mots indépendants (Asie Orientale et Amérique Centrale).

2° Les langues agglutinantes, où plusieurs racines s’agglutinent pour former un mot dans lequel l’une d’elles conserve son indépendance radicale. Elles comprennent trois groupes appelés atomique, touranien, holophrastique ou polysynthétique et sont dispersées dans le monde, sauf en Europe.

3° Les langues à flexion où les racines fondues entre elles n’ont plus d’indépendance. Ce sont les langues indo-européennes et sémitiques.

Ces divisions seront-elles les bases solides des travaux linguistiques de l’avenir ou devront-elles être modifiées ? On ne peut le dire. La linguistique est une science bien jeune. Parmi les sciences biologiques, elle est une de celles qui ont encore le plus de choses à découvrir.

Nous ne ferons pas ici une étude des différentes langues, mais nous nous occuperons plus particulièrement du français.

Langue française. — Comme toutes les formes essentielles de la vie humaine, les langues ont des sources populaires. « Il existe une relation intime entre la terre nourricière et le langage humain. Le langage des hommes est né du sillon ; il est d’origine rustique et, si les villes ont ajouté quelque chose à sa grâce, il tire toute sa force des campagnes où il est né… Notre langage sort des blés comme le chant de l’alouette… C’est le peuple qui a fait les langues. Platon disait : « Le peuple est, en matière de langue, un très excellent maître. » Platon disait vrai. Le peuple fait bien les langues. Il les fait imagées et claires, vives et frappantes. Si les savants les faisaient, elles seraient sourdes et lourdes. Mais, en revanche, le peuple ne se pique pas de régularité. Il n’a aucune idée de la méthode scientifique. L’instinct lui suffit. C’est avec l’instinct qu’on crée. Il n’y ajoute point la réflexion. Aussi les langues les plus sages et les plus savantes sont-elles tissues d’inexactitudes et de bizarreries. » (A. France : La Vie littéraire). R. de Gourmont a dit : « Les langues des métiers ont toujours été admirables ; celles des sciences sont hideuses : rien ne prouve mieux que la fonction linguistique est une fonction populaire. Un « ignorant absolu » ne peut pas plus se tromper linguistiquement qu’un oiseau qui chante ou qu’un chat qui miaule. Toutes les manières de « mal parler » qu’on relève dans le peuple proviennent d’en haut, un instinct de maladroite singerie portant les ignorants à imiter ceux qui croient savoir. »

C’est de la langue familière du peuple qu’est sortie la langue littéraire. « La meilleure des deux est assurément la langue familière ; mais l’existence de l’autre est assurée par la tradition littéraire, par le travail perpétuel de l’imprimerie. Le désaccord est grand