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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/599

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LET
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C’est le contrat social qui est véritablement un contrat léonin. Tout le système de la propriété reposant sur l’exploitation de l’homme par l’homme s’apparente en son esprit avec, çà et là, des formes insidieuses, au raisonnement brutal du roi des animaux s’arrogeant, de par sa force, le droit à la proie la plus belle, au plus riche butin.

Il a donc fallu qu’à quelque moment, appuyés sur la ruse ou la brutalité, des hommes s’affublassent de la peau du lion pour persuader aux autres bêtes humaines qu’elles devaient s’incliner, trouver même équitable ce marché de maître à serviteur, un contrat de dupes. Mais à aucune époque les intéressés — esclaves, serfs, prolétaires — n’ont pu consentir en connaissance de cause et en toute liberté les conditions de travail et de vie qui comportent ce caractère léonin. Les nécessités vitales, compliquées de faiblesse et d’ignorance, l’absence d’une cohésion intelligente qui seule leur eût permis de résister à des empiètements tyranniques, leur ont fait à travers le temps une sorte d’obligation d’accepter des clauses qui consacrent leur infériorité. D’autre part la bourgeoisie, groupe social actuellement bénéficiaire de ce contrat, s’efforce d’en justifier l’existence, de l’abriter sous des principes moraux, de lui donner une armature légale inébranlable. Et c’est à en discuter la valeur, à en contester le principe, à en dénoncer l’arbitraire, à mettre en relief sa nocivité que visent les critiques socialistes, communistes, anarchistes.

Des utopistes ont opposé à ce système choquant par trop les principes les plus simples de liberté, d’égalité et de fraternité des systèmes plus en accord avec la justice sociale, sans parvenir à changer quoi que ce soit dans le désordre actuel des choses et dans le désaccord perpétuel des hommes entre eux. C’est qu’il est aussi difficile de faire admettre à un parasite, à un bénéficiaire de « l’ordre » social actuel, l’illégitimité de sa situation favorisée, qu’il est malaisé de faire lâcher prise au lion, campé sur son butin sanglant. Tout possédant, conscient ou non de la frustration qui est la base de son bien quand ce bien est le résultat du travail de ses semblables, défend ce bien férocement. L’accapareur, le profiteur, l’exploiteur, en un mot le voleur du bien d’autrui, s’appuyant sur « le Droit, la Légalité, la Justice », repousse tout raisonnement et se cramponne à son morceau de roi. Il crie « à la garde ! » si on conteste le bien-fondé de ses prétentions à la propriété qu’une législation millénaire a habilement consacrées.

Avant la Révolution du Tiers-État, ce qu’avaient monopolisé Roi, Nobles, Clergé, était de toute évidence privilège et accaparement. Et la révolte des spoliés consignant dans les Droits de l’Homme une reprise solennelle, était venue à point pour remettre les choses en place. Cela le bourgeois, héritier de 89, l’admet. Mais nanti à son tour de ce qui fut justement arraché à l’Ancien Régime, il n’admet pas qu’on lui dise aujourd’hui que sa classe doit rendre aussi ce qui ne lui appartient pas. Il ne veut pas croire (ou il feint d’ignorer) que la fortune acquise l’est toujours aux dépens du pauvre et que nul ne peut jouir de l’oisiveté sans que ce soit aux frais des besogneux.

Les « Lions » de la société actuelle devront tôt ou tard, bon gré mal gré, se rendre à l’évidence et accepter la résiliation du contrat léonin dont ils bénéficient. Les autres animaux que sont les producteurs exploités ne seront pas toujours obtus et résignés… Déjà, n’ont-ils pas osé discuter leur état. Il ne faudra qu’un sursaut de révolte collective comme en sont capables les travailleurs quand ils sont organisés et qu’ils ne suivent pas de mauvais bergers, pour arracher le contrat, le détruire et imposer une forme nouvelle de société basée sur la production équitablement organisée pour les besoins de tous. — G. Y.


LETTRE n. f. L’étymologie de ce mot est incertaine. Il viendrait de littera (caractère d’écriture), de lictera (du radical sanscrit likh, graver, écrire), de linea (ligne) ou de linere, litum (enduire). Il désigne chacun des caractères qui composent l’alphabet dans sa forme, sa dimension, sa couleur, chez ceux qui emploient ce mode d’écriture pour la représentation du langage articulé. L’emploi des lettres, pour écrire les mots, est guidé par l’orthographe. « Otez de notre écriture les lettres que nous ne prononçons pas, vous introduirez un chaos en l’ordre de notre grammaire, et ferez perdre la connaissance de l’origine de la plus grande partie de nos mots. » (Livet). Les caractères employés pour l’écriture du langage musical sont appelés notes.

Le mot lettre désigne aussi ce qui a un sens littéral, étroit, renfermé dans un texte. Considérer une chose au pied de la lettre, c’est la voir exactement dans le sens rigoureux du mot. Juger selon la lettre, c’est s’en tenir à ce qui est écrit. Aider à la lettre, c’est interpréter en expliquant le sens. Ajouter à la lettre, c’est élargir le sens et aller au-delà. Suivant les circonstances, il convient de préférer l’esprit à la lettre. « La lettre tue et l’esprit donne la vie », a dit saint Paul, interprétant la prétendue loi divine ; mais lettre et esprit ont été si souvent falsifiés, surtout sur les questions divines et dans les buts les plus contradictoires bons et mauvais, qu’il est impossible de s’y reconnaître. Comme l’a dit Voltaire à propos de l’emploi des signes du langage : « L’univers fut abruti par l’art même qui devait l’éclairer. »

L’incertitude de l’étymologie du mot lettre est d’autant plus singulière que ce mot suppose en certains cas une absolue précision. Ce qui est non moins singulier, c’est que les hommes n’ont pas trouvé de nom à la réunion des lettres ou caractères du langage. « Comment s’est-il pu faire, a dit Voltaire, qu’on manque de termes pour exprimer la porte de toutes les sciences ? La connaissance des nombres, l’art de compter, ne s’appelle point : Un-deux. ». Les Grecs ont dit : alpha, bêta, etc… et du son des deux premières lettres de leur langue on a fait alphabet. Nous disons : l’a. b. c. Certains allant jusqu’à d ont fait abécédaire. On peut aller ainsi jusqu’à l’oméga des Grecs qui est le z français. A défaut d’un mot ayant un sens, on a appelé alphabet la réunion des lettres d’une langue disposée suivant une énumération conventionnelle. L’alphabet est la première partie de la grammaire ; la connaissance des lettres qui le composent est l’élément essentiel de celle du langage.

Les lettres, ou signes du langage d’après l’énumération alphabétique, auraient été trouvées par les Phéniciens qui les auraient transmises aux Grecs. Du grec est dérivé l’alphabet des latins employé aujourd’hui par leurs descendants (France, Espagne, Portugal, Italie, Roumanie), par les Scandinaves, les Germaniques et quelques autres peuples dont les langues sont étrangères à la famille indo-européenne. Les Hébreux avaient reçu aussi des Phéniciens leur alphabet. Ils le transformèrent peu à peu pour composer l’araméen. L’ancien alphabet phénicien n’a été conservé chez eux que par les Samaritains, d’où son appellation actuelle d’alphabet samaritain. L’Inde possède des alphabets. Ils sont dérivés de l’araméen et du grec par l’indo-bactrien. La Perse a un alphabet sorti de même de l’araméen, où sont conservées des traces égyptiennes. L’araméen a également produit les variétés arabes. D’autres très nombreux alphabets se sont formés sous des influences plus ou moins obscures et mélangées. Il n’y en aurait pas moins de cinquante-sept pour écrire les seules langues turques.

La parenté des signes de l’écriture ne comporte nullement celle du langage : mais comme les hommes ne peuvent émettre, quelle que soit leur langue, qu’un