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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/600

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LET
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nombre déterminé de sons, il en résulte que les mêmes signes pourraient, à peu de choses près, servir aux besoins de toutes les langues. L’alphabet a rendu extrêmement aisée l’expression écrite du langage en réduisant ses signes à vingt-deux lettres dans l’italien, vingt-quatre dans le grec, vingt-cinq dans le latin, vingt-six dans le français, l’anglais et l’allemand, vingt-sept dans l’espagnol. Les peuples qui n’ont pas d’alphabet et ont des signes pour chaque mot, ont une écriture extrêmement compliquée, dont la vulgarisation est à peu près impossible. C’est ainsi que ces signes dépasseraient chez les Chinois le nombre de quatre-vingt mille ! Dans l’ancienne Égypte, il y avait autant d’écritures que de castes. On comprend les difficultés linguistiques qu’il y a pour s’entendre, non seulement entre ces peuples, mais aussi entre gens du même peuple.

Les lettres ont des formes très variées dans l’écriture. On les a beaucoup réduites depuis l’invention de l’imprimerie et l’usage courant de l’écriture développé par l’instruction. Mais aux temps où les livres n’existaient qu’en manuscrits, c’était un art important, chez leurs copistes, de multiplier la variété des lettres et de leurs ornementations. Il y avait les lettres armoriées, les lettres en broderie, les lettres capitulaires, les lettres en chaînettes, en treillis ou en mailles, les lettres tressées, entrelacées, enclavées ou éparses, les lettres de forme, de marqueterie ; les lettres onciales, les plus anciennes, qui remontent au temps des premiers Ptolémée ; les bénéventines, les pisanes, les lettres perlées, ponctuées, solides, tondues, barbues, tourneuses, tranchées, et une foule d’autres oubliées. Aujourd’hui, l’imprimerie emploie les lettres majuscules, capitales, ornées, blanches, grises, tranchées, à queue, etc… Les lettres de l’écriture alphabétique ont des formes diverses propres à chaque peuple. La forme la plus courante en Europe est celle de l’écriture latine. Les Allemands ont encore la forme gothique qu’ils abandonnent peu à peu après les Scandinaves. Il y a en outre les écritures arabe, grecque, russe, asiatiques.

On appelle encore lettre une communication par écrit adressée dans certaines circonstances à des personnes éloignées : lettre de faire-part, de condoléances, d’introduction, de recommandation, circulaire, etc… Dans le commerce, on fait usage de la lettre de change, la lettre de crédit, la lettre de gage, la lettre d’avis, la lettre de voiture, la lettre d’offre de service, etc…

La lettre est aussi la correspondance particulière entre personnes, sous forme d’épître, de missive. Elle est le genre épistolaire dans les Belles-Lettres (Voir ce mot).

Sous l’ancien régime d’avant 1789, un très grand nombre d’actes législatifs, de jurisprudence et de chancellerie, étaient appelés lettres royaux (de l’ancien pluriel royaux qui était le même pour le masculin royal et pour le féminin royale). Il y avait, entre autres, les lettres de cachet qui servaient à différents usages, mais surtout à envoyer les gens en prison, sans jugement, selon le bon plaisir des monarques ou de leurs favoris. Saint-Foix, montrant que les inventions malfaisantes ont été dues souvent à des gens d’église, a écrit dans ses Essais historiques sur Paris : « Un moine inventa la poudre à canon ; un évêque les bombes ; un capucin, le père Joseph, imagina les espions soudoyés par la police et les lettres de cachet ». Voltaire déplorait, que tant d’assassinats religieux et tant de lettres de cachet fussent le partage d’un peuple, celui de France, si renommé pour la danse et l’opéra-comique. Diderot a dit qu’on a pu compter quatre-vingt mille de ces lettres « décernées contre les plus honnêtes gens de l’État sous le plus doux des ministères ». D’après l’historien Montgaillard, on en lança plus de 150.000 pendant le règne de Louis XV. Michelet a dit qu’alors : « l’essence et la vie du gouvernement étaient la lettre de cachet ». Bien

qu’abolies solennellement par la Révolution française, les lettres de cachet existent toujours sous des formes déguisées. En démocratie comme au temps de Mme de Maintenon, « on est persuadé qu’elles sont nécessaires » ! (Voir : Liberté individuelle). — Edouard Rothen.

LETTRES (BELLES-) — On dit aussi les Lettres. Elles sont la littérature et, particulièrement, la grammaire, l’éloquence, la poésie. Ce sont les « arts de la parole » et valent par l’expression que l’art fait prendre aux mots. Cette expression s’inspire des sentiments plus que de la clarté et de la précision nécessaires aux sciences. Lorsqu’une part de sentiment se mêle aux sciences, elle les fait appartenir aux lettres. L’histoire, la philosophie, la linguistique sont à la fois des sciences et des lettres. Pendant que les sciences recherchent des connaissances nouvelles, les lettres s’occupent de répandre des connaissances acquises. Elles forment le jugement des hommes, leur servent à l’exprimer. Leur objet est tout intellectuel et moral ; celui des sciences est tout expérimental.

Avoir des lettres, c’est posséder les connaissances que procure l’étude des livres. Descartes a dit : « J’ai été nourri aux lettres dès mon enfance, et, pour ce qu’on me persuadait que par leur moyen on pouvait acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j’avais un extrême désir de les apprendre. »

En littérature, on appelle genre épistolaire la correspondance littéraire. On dit que ce genre est le plus répandu parce que « tout le monde écrit des lettres ». C’est comme si on disait que tous ceux qui « mettent la main à la plume » font de la littérature. Leur étonnement serait aussi légitime que celui de Monsieur Jourdain apprenant qu’il faisait de la prose lorsqu’il disait : « Nicole, apportez-moi mes pantoufles et me donnez mon bonnet de nuit. » (Molière : Le Bourgeois gentilhomme). Pour être de la littérature, la correspondance doit avoir les qualités de l’art de la parole tant par l’emploi de la langue que par le choix des expressions et des sentiments. Le genre épistolaire réclame en particulier du naturel, du tact et de la concision. Plus qu’en tout autre genre, la concision est, dans la correspondance, l’art de bien écrire, c’est-à-dire d’énoncer clairement ce qu’on a bien conçu. Il y faut plus de temps que pour écrire longuement et obscurément. Pascal terminait ainsi une de ses lettres : « Je n’ai fait cette lettre-ci plus longue que parce que je n’ai pas eu le loisir de la faire plus courte. » La clarté et l’aisance de la pensée, l’élégance de l’esprit, sont nécessaires dans la correspondance autant que dans la conversation. La lourdeur pédante y est aussi mal venue que l’affectation précieuse. Les deux se rencontrent souvent dans les Lettres des xviie et xviiie siècle, bien qu’ils aient été la période la plus brillante de la littérature épistolaire. Malebranche remarquait qu’ « il n’y a rien de plus ennuyeux et de plus désagréable que de philosopher par lettres », Voltaire disait : « D’ordinaire, les savants écrivent mal les lettres familières comme les danseurs font mal la révérence. » On n’en « pédantisait » et on n’en « philosophait » pas moins par lettre. La correspondance, facilitée par le service des postes que Richelieu avait organisé pour les particuliers, était devenue à la mode et permettait à tout le monde d’être littérateur. Quelle joie n’était-ce pas pour les Sévigné de raconter à leurs filles éloignées en province, et par elles à la « bonne société » de leur ville, des histoires de cour dont la nouvelle ne mettait plus que huit jours pour parvenir jusqu’à Marseille ! Les commérages aristocratiques de Paris et de Versailles couraient sur toutes les routes de France. Dans les petits billets comme dans les longues épîtres, on dissertait de tout : amours, potins et scandales de la